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La dernière guerre ?

En Irak, l’affaire est terminée ! La chute de Bagdad le mercredi 9 avril 2003 est sans conteste une victoire éclatante pour les forces de la coalition anglo-américaine et la confirmation de la suprématie militaire absolue du camp occidental. Quelques unités, à supposer qu’il en reste, pourraient encore résister autour de Tikrit, mais, pour l’essentiel, le régime de Saddam Hussein a vécu. Tous les démocrates du monde ne peuvent que s’en réjouir.

Comme toujours, lors de la décomposition d’un système et de l’effondrement de toutes ses structures, le retour à un certain ordre est problématique. Un régime dictatorial ne laisse derrière lui que du vide. Le temps pour des troupes d’occupation ou pour des « exilés » de venir s’installer et de prendre la mesure des problèmes, l’anarchie peut faire des ravages et livrer le pays aux pillards. C’est bien la question essentielle des prochaines semaines, dont la résolution orientera la capacité ou non de fonder l’avenir sur des bases sérieuses et acceptables.

S’agissant de la guerre, le rapport des forces laissait peu de chances à la défense irakienne, réduite à des squelettes de divisions, fussent-elles de la Garde, républicaine ou spéciale. On avait un peu exagéré cette supériorité en prédisant une guerre de trois jours. C’était sans compter sur quelques facteurs géographiques : la météo et les distances (500 km entre la frontière kowéitienne et Bagdad, l’équivalent de Strasbourg – Paris) ; et c’était sous-estimer l’inertie initiale de la fantastique machine de guerre américaine, dont la puissance est effectivement dépendante d’une colossale mais lourde logistique. On avait, également, exagéré l’importance de la « pause » devant Nadjaf et Kerbala, phase de respiration nécessaire avant de se lancer, sans relève par des unités fraîches, à la conquête de la capitale, et aussi phase de bombardements intensifs sur les « verrous » défensifs irakiens à quelques cent kilomètres au sud et au sud-ouest de Bagdad. On avait enfin largement supputé sur la défense de Bagdad par les « fameuses » cinq divisions irakiennes dont les restes, scotchés dans des abris de fortune, étaient devenus des proies faciles pour un déluge de feu aéro-terrestre. Aucune force au monde, si elle reste ainsi immobile, ne peut supporter un tel matraquage. Après quelques jours de pilonnage incessant et précis, les deux divisions américaines ont pu, sans coup férir, exécuter les raids blindés qui devaient achever de démanteler les défenses irakiennes.

Après un tel succès, les experts vont s’esclaffer sur le triomphe de la « stratégie » militaire, gloser sur les qualités – précision, nombre, capacité de destruction – des armes américaines et inonder de commentaires éblouis des médias toujours prompts à encenser le plus fort. Ils auront raison d’un certain point de vue, mais quitte à passer pour un empêcheur de se réjouir ou d’applaudir en rond, il paraît de bon sens de rappeler que cette guerre ne règle rien ; elle paraît même dangereuse dans la mesure où elle peut faire croire aux vainqueurs – et aux observateurs – que la recette vaut pour solution dans la plupart des conflits contemporains.

Cette guerre ne règle pas, on s’en rendra compte très vite, les problèmes politiques. Au contraire, la destruction du pouvoir central irakien – aussi détestable fut-il – met à nouveau le pays devant ses divisions ethniques et confessionnelles. Elle n’apporte pas non plus de solution aux problèmes régionaux – la question palestinienne au premier rang -, dont elle ne fait que souligner la gravité, l’urgence et la difficulté extrême à les apaiser ; elle renforce au contraire un peu plus le désarroi d’un monde arabe profondément divisé et meurtri. L’humiliation subie par l’Irak peut aussi cristalliser toutes les oppositions anti-occidentales – y compris par le terrorisme – et compromettre durablement les relations avec les pays moyen-orientaux.

Surtout cette guerre n’apporte aucun espoir ni modèle de solution à la conflictualité contemporaine. L’exemple irakien va-t-il faire avancer les choses au Congo dit « démocratique », au Libéria, au Soudan ? Va-t-il entraîner la chute de dictateurs ici ou là, en Asie ou en Amérique latine ? Certainement pas. La victoire de la force en Irak ne préjuge nullement de l’issue de la trentaine de conflits de tous types qui continuent de polluer la planète. L’écrasant succès de la puissance militaire américaine apparaîtra d’ici quelques mois – quelques années peut-être – comme un gigantesque miroir aux alouettes, une fiction entretenue à grand renfort de chars et de bombardiers pour faire croire encore que la paix ne peut venir que de la guerre, et que le droit ne peut naître que de la force.

Le courage politique ne consiste pas aujourd’hui à faire des démonstrations d’une force que personne n’aurait par ailleurs l’outrecuidance de contester, mais bien d’utiliser cette force pour éteindre un incendie en Colombie ou pour étouffer un feu de brousse en Côte d’Ivoire. Mais il est vrai que ces deux malheureux pays ne produisent que du café et du cacao, et que leur « intérêt stratégique » s’en trouve d’autant diminué. Donnez-moi du pétrole et je vous ferai de bonnes guerres !

La victoire militaire en Irak, pour rassurante qu’elle paraisse aux yeux des observateurs, n’en reste pas moins le résultat d’une politique à l’emporte-pièce, qui ne peut que contribuer, sous de fausses apparences de retour à l’ordre, à la déstabilisation du Moyen Orient et, de façon plus générale, d’un monde déjà déboussolé et fragilisé.

Il faudrait que cette « dernière guerre », avant tout expression de la vindicte américaine après le traumatisme du 11 septembre, solde une fois pour toutes une certaine façon de « traiter » les affaires du monde.