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« Témoignage », par Richard Prein

Le contenu des articles du dernier numéro d’AGIR résument très bien l’état de notre monde et des défis qui nous attendent. Comme la majorité d’entre nous, je reconnais ces situations dans mon environnement professionnel ainsi que personnel, et tente de trouver les moyens de résister, convaincre mon entourage des directions à prendre ou à éviter. Nous sommes aujourd’hui dans une situation dans laquelle nous observons avec inquiétude les fissures du système en place. Il faudra prendre des décisions difficiles avec l’utilisation de ressources exceptionnelles, afin d’éviter une détérioration de la crise qui sera sans retour.

L’Irlande, pays dans lequel je vis actuellement, est bien l’exemple d’une concentration de situations qui ont été décrites dans les numéros d’AGIR au cours des quinze dernières années, avec des caractéristiques universelles. Un Etat décomposé par la crise qui paye cher sa connivence avec les institutions financières au cours des années de croissance du « Tigre celtique ». Avec un endettement colossal, cet Etat subit le harcèlement d’une Union européenne et de la communauté internationale dont la population devient la victime principale. Affaiblir l’Etat et la qualité de ses représentants permet à l’Union européenne d’imposer l’obéissance. Un constat d’échec de l’Etat irlandais qui est incapable de défendre sa population avec un gouvernement qui est prêt à abolir certains mécanismes essentiels du contrôle démocratique (référendum sur l’abolition du Sénat sans proposition de réforme en 2013). Ceux qui ne partagent pas la ligne du parti de l’Union européenne, peuvent la quitter et « volontairement » émigrer pour constituer la diaspora à l’étranger. Déraciner et diviser les individus semble devenu un objectif politique. Le mépris à l’égard de la population et de la démocratie est démontré dans un exemple concret que fut celui de la ratification du traité de Lisbonne. Le peuple vote « non » au traité : situation qualifiée d’inacceptable, notamment par un certain Daniel Cohn-Bendit. Il faut faire revoter ce peuple jusqu’à ce que le « oui » devienne majoritaire.

Au niveau du monde de l’entreprise, nous assistons à des comportements tout aussi alarmants. Le choix unique de l’Irlande pour les multinationales est celui de la fiscalité. Un chantage indécent pratiqué par des sociétés dont le chiffre d’affaires est parfois supérieur aux budgets de certains Etats : l’emploi est créé, souvent précaire, en échange d’une faible fiscalité. Ces entreprises furent autrefois attirées notamment par la bonne éducation de sa population, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La pression sur les coûts, exercée par les multinationales sur les parties externes procurant des services (modèle d’entreprise du outsourcing) a été importante et, en conséquence, a entrainé une forte réduction des salaires ainsi que de la formation du personnel. Ceci a eu un impact significatif sur la qualité des personnes employées. De fait, les personnes éduquées quittent l’Irlande, suivi par l’immigration d’une force de travail peu qualifiée et à faible coût. Les services procurés sont de qualité médiocre, ce qui aura un impact certain à moyen terme sur la performance de l’entreprise et de sa compétitivité.

Une autre observation inquiétante est celle de l’évolution d’une idéologie similaire que l’on observe au niveau de l’Union européenne : l’obsession d’expansion sans limites et coûte que coûte, aux dépens du développement et du renforcement de sa structure interne. Conquérir n’importe quel marché à risque, négligeant le principe élémentaire en affaires qui est la rentabilité. Une fuite en avant sans objectif durable et sans stratégie.

Depuis ses débuts, j’ai suivi les activités de la Société de Stratégie et du Général de La Maisonneuve. Mon observation est celui d’une grande maturité au niveau de l’analyse, grâce à la diversité de ses membres et sympathisants. Il est notamment intéressant d’observer qu’un certain nombre d’analyses des débuts de la Société se réalisent, ce qui lui confère une légitimité certaine. Néanmoins et en considérant les défis qui nous attendent, je pense que l’action de la Société de Stratégie ne doit plus se limiter exclusivement aux activités intellectuelles. Nous avons un devoir d’action avec l’objectif de préserver notre liberté de pensée et de mouvement : se battre pour un retour du bon sens. Se donner un « bras opérationnel » avec les moyens que nous avons à notre disposition. Je pense ici à Jacques Foccart et à son rôle en 1958 en préparation du retour du Général de Gaulle. En cas de crise grave, nous devons être dans une position dans laquelle nous pouvons intervenir physiquement et confronter les représentants des institutions de la République sur leurs responsabilités et échecs.