Elie Barnavi, Dix thèses sur la guerre, Flammarion, 2014
(citations)
« …Le concept de culture politique est problématique, dans la mesure où il implique une certaine autonomie du politique au sein de l’ensemble des représentations et des pratiques qui tissent la trame de la vie collective d’un groupe humain donné. Difficile de s’en passer, pourtant, tellement il est utile pour comprendre les ressorts qui animent les manières d’être et d’agir des sociétés politiques.
Qu’est-ce que la culture politique, donc ? Au sens large, c’est l’ensemble des valeurs, mythes, croyances, attitudes et sentiments qui conditionnent le rapport des individus, ou du moins de la plupart d’entre eux, à la « constitution » qui régit la société dont ils sont membres. Dans son rapport au temps, la culture politique permet à la communauté de se reconnaître dans un passé partagé, de se penser en collectivité agissante dans le présent et de concevoir un avenir commun. Elle fabrique du lien social orienté vers l’action… (pages 60-61) »
« …tout se passe comme si la guerre civile était le billet d’entrée dans la modernité politique. A la réflexion, cela n’a rien d’étonnant : il s’agit de définir les principes qui régissent l’organisation du corps politique, sa « constitution ».
En découlent deux caractéristiques essentielles. Plus ce corps politique se constitue tôt, et plus l’épreuve de la guerre civile est précoce, quitte, comme dans le cas de la France, à se manifester à plusieurs reprises. Et, les raisons de se faire la guerre ne relevant pas de la rationalité relative des enjeux matériels, territoriaux ou économiques, mais des assises morales et philosophiques de l’association des citoyens, cette catégorie singulière de conflit armé qu’est la guerre civile sera particulièrement sauvage. En effet, l’unité de la collectivité passe par sa purification. Des guerres de religion du XVIe siècle à la guerre civile irakienne ou syrienne en passant par la guerre d’Espagne, toute guerre civile se vit comme une entreprise d’assainissement du corps social. Toute guerre civile relève du sacré… (pages 83-84) »
« …Si l’Histoire ne se répète jamais, il lui arrive de bégayer. Car il semble bien que les conditions soient aujourd’hui derechef réunies pour de nouvelles « vraies » guerres de religion. Les ingrédients sont anciens, mais ils se combinent dans une configuration nouvelle, qui est celle de cette troisième modernité qui est la nôtre. La mondialisation rend les frontières poreuses et favorise le passage des hommes et des idées. L’effondrement du système international bipolaire prive la planète du minimum d’ordre capable d’imposer quelque discipline aux aventuriers de tout poil. La prolifération d’Etats « faillis », incapables d’imposer leur légitimité à des segments significatifs de leurs populations, offre un terrain fertile aux mouvements dissidents. Surtout, l’affaissement des grands systèmes idéologiques hérités du XIXe siècle, qui ont fonctionné comme des religions de substitution, laisse place aux religions de la transcendance. Il apparaît, en effet, que seul ce « petit cap d’Asie » qu’est l’Europe soit « sorti de la religion ». Ailleurs, Dieu se porte comme un charme, et arme ses fidèles… (pages 89-90) »