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Bloc-notes 2 (extraits)

Journal de confinement – deuxième vague

Jeudi 29 octobre 2020 - En ce dernier jour de liberté de mouvement avant au moins un mois de réclusion, j’ai foncé jusqu’aux plages de Chiberta, assez encombrées de familles vacancières qui profitaient du spectacle de la mer et de ce répit qui leur était accordé avant de retourner chez elles pour s’y enfermer. Il est vrai que dans sa furie l’océan était aujourd’hui d’une grave beauté ; blanc d’écume sur plusieurs centaines de mètres, cadencé de rouleaux impressionnants, le monstre marin s’acharnait à submerger la côte. Colère qui vient directement d’Amérique mais qui échoue encore une fois sur les rives du golfe de Gascogne. Jusqu’à quand résisterons-nous à tous ces vents mauvais, ceux de l’oncle Donald le menteur ou ceux des faux sosies du Prophète, étroitement emmêlés de bouffées de ce virus moyenâgeux ?
C’est bien la France, et non la République comme le scandent tous ceux qui ignorent mille ans de notre histoire, qui est dans la tourmente, et comme souvent par le passé, les Français ne sont pas à la hauteur des défis qui nous sont jetés. Certes, on n’est pas en juin 1940 ; ce serait si simple si l’histoire se répétait, on pourrait la raconter aux petits-enfants. Non ! L’histoire est inventive, elle a des recettes cachées et sait en garder le secret jusqu’au bout. Il faut dire que nous ne sommes pas très imaginatifs, que nous rêvons toujours de la vie d’avant, pour que « les jours heureux » reviennent et avec eux l’insouciance de l’avenir. J’y reviendrai sans doute, car le temps d’y penser ne me sera pas compté.
Je demeure en tout cas abasourdi par l’absence presque totale de « méthode stratégique » dans la classe dirigeante. Nous autres, militaires, ne sommes paraît-il pas très malins, mais nous avons au moins appris sur les bancs de l’Ecole de Guerre à échafauder des hypothèses en fonction de la situation, de l’adversaire et des moyens disponibles et, surtout, du but recherché ; et nous savons bien, par expérience, que ce n’est pas au pied du mur ou lorsque « l’affaire » est engagée qu’il faut faire son choix et orienter l’action. Toute action qui n’est ni préparée ni anticipée ne peut que conduire à l’échec, sauf à compter sur la chance, dont Churchill avait dit par ailleurs « qu’elle n’était qu’une sérieuse attention aux détails », et il était maître en la matière.
Si la galopade du virus a surpris tout le monde, cela signifie simplement que soit les capteurs n’étaient pas en place, soit qu’ils n’ont été ni relevés ni analysés, à moins que, pire encore, ils ne fussent pas pertinents. Je croyais avoir entendu en février et mars derniers le summum des âneries proférées par les corps médical et médiatique réunis, mais je suis obligé d’avouer qu’en octobre ils ont battu leurs propres records et atteints des niveaux d’anthologie. Cela dit, il est stérile de charger la mule ou de revenir sur les masques introuvables et donc inefficaces voire dangereux (!), sur les tests parcimonieux puis innombrables mais inutiles, etc. Il faut agir dans les conditions qui nous sont imposées ; le nouveau plan de confinement devrait y répondre efficacement, au moins jusqu’à Noël. Pour la suite, qui vivra verra…
Encore un drame dû au terrorisme islamiste ; ce matin trois personnes ont été assassinées dans la basilique Notre-Dame de Nice. L’auteur n’est pas tchétchène mais tunisien, il a vingt et un ans, l’autre en avait dix-huit ; ils font l’un et l’autre partie de cette masse de jeunes musulmans chauffés à blanc par la propagande des « fous d’Allah », cette cinquième colonne qui sape en profondeur la part de notre société qui refuse les lois de la République aussi bien que les fondements de notre culture. Le Président avait déclaré la guerre au virus en mars et j’avais écrit alors à quel point il est dangereux de « mal nommer les choses ». C’est bien au terrorisme islamiste qu’il aurait fallu non seulement déclarer mais faire la guerre. Là encore, il faudrait convoquer la démarche stratégique pour analyser avec justesse l’état de notre sécurité et envisager les méthodes et les moyens qu’il faudrait mobiliser de toute urgence avant que le pays ne soit à feu et à sang. Je sais que ce nouveau confinement ne va pas être une partie de plaisir mais je pressens aussi qu’il pourrait tourner à la tragédie. Non seulement la peur n’a pas changé de camp, mais elle pourrait s’exacerber et nous emmener vers des postures ou des décisions extrêmes. Notre Etat de droit va-t-il résister à de tels assauts ? Les cloisons ne sont plus étanches et trop fragiles pour tenir bien longtemps dans leur calamité actuelle.
Si je fais l’hypothèse comparative que la crise « terroriste » est parallèle à la crise sanitaire, c’est pour dire qu’elle non plus n’est plus sous contrôle. Combien de dizaines, peut-être de centaines de jeunes hommes haineux et animés de l’esprit de vengeance sont-ils aujourd’hui prêts à passer à l’acte ? Et si ces ordres de grandeur sont avérés, notre appareil de sécurité et de justice est-il à la mesure du problème ? Ne faudrait-il pas, si l’on parle de « guerre », envisager de mobiliser nos forces armées ? Celles-ci, fort habilement, ont été attirées sur des territoires extérieurs, au Proche-Orient ou en Afrique, où elles s’ensablent dans des conflits ingagnables. Sans doute, mais à condition de les réorganiser sur un modèle, non plus d’intervention extérieure, mais de « défense du territoire » comme le prescrit notre loi fondamentale, à savoir l’Ordonnance du 7 janvier 1959. Nos forces seraient plus utiles, voire indispensables, sur le territoire hexagonal, ne serait-ce que pour « exister ». C’est cette question que je tente de traiter en profondeur dans le deuxième tome de mes « mémoires » : la guerre du Golfe en 1991 nous a entraînés vers un modèle d’armée interventionniste, absolument contraire au concept de défense gaulliste, et qui rend notre politique de défense incohérente depuis trente ans. Cinq présidents successifs de notre République ont suivi en la matière la politique de l’autruche, pariant avec autant de légèreté que de suffisance, et en cela inspirés par un corps d’officiers généraux aussi aveugle que celui des années 1930, sur la viabilité du « grand écart ». Face aux fascismes et aux impérialismes qui se lèvent un peu partout aux alentours de l’Europe et aux séparatismes qui se lovent en notre sein, la France est aussi démunie qu’elle l’était sans le savoir avant la deuxième guerre mondiale. Il va falloir, dans l’urgence, revoir notre concept de défense.

Vendredi 30 octobre – Inauguration discrète de l’enfermement. Quel dommage de se réfugier chez soi par un temps pareil ! Cet été indien qui nous a manqué depuis un mois reprend des forces à la veille de la Toussaint et d’un mois de novembre traditionnellement triste. Le soleil annoncé pour une bonne semaine sera-t-il suffisant pour calmer nos angoisses et réchauffer nos inquiétudes ? J’en doute. J’ai rompu le confinement dès l’aube pour rendre visite au cardiologue et lui remettre le holter dont il m’avait affublé. Résultat lundi. Et je suis resté dans le jardin cet après-midi pour tailler les haies de laurier-sauce qui culminent bien trop haut, vers les quatre mètres, et qu’il faut rabattre pour laisser passer la lumière du prochain hiver.
Ce matin, sur France-Inter, le journaliste Pierre Haski, ancien correspondant de l’AFP à Pékin, tentait de relier la vague d’attentats islamistes en France à la théorie du « choc des civilisations » émise par Samuel Huntington en 1993. J’avais à l’époque (octobre 1995) où je dirigeais la Fondation pour les Etudes de Défense (FED), organisé un colloque important à l’UNESCO que j’avais dénommé « Paix et Guerre au XXIe siècle » et j’y avais invité, entre autres personnalités, deux chefs d’Etat du Sahel (Niger, Mali) auprès desquels je m’étais rendu précédemment et…Samuel Huntington. Le chœur des bien-pensants m’avait fait alors le procès de souscrire aux thèses aventuristes des « néocons » ; Pascal Boniface avait même pondu une courte note dans la Lettre de l’Expansion pour dénoncer mes errements et les soi-disant dépenses somptuaires que j’aurais engagées pour faire venir Huntington à Paris. Il n’empêche que Samuel Huntington s’y est exprimé en toute clarté (son intervention a été publiée dans le numéro de la Revue de Défense nationale de janvier 1996) et les propos qu’il a tenus alors se révèlent aujourd’hui assez prophétiques ; pas nécessairement sur les attendus mais plutôt sur les conséquences. Je m’explique : il faut distinguer le choc « entre » les civilisations, assez exceptionnel dans l’histoire, du choc « des » civilisations, c’est-à-dire de leur crise ou de leur décadence et de l’exploitation qui en est faite par d’autres. Semer la pagaille chez l’autre supposé vulnérable est un des classiques de la politique. Le Général de Gaulle titrait ce phénomène : La Discorde chez l’ennemi, son premier ouvrage, ou le b-a-ba de la stratégie. En général, cette pratique devient l’unique recours quand les problèmes internes sont perçus comme insolubles par les intéressés, cas très probable aujourd’hui du monde musulman divisé, de la Turquie répudiée par l’Europe, de la Russie probablement et de la Chine certainement. Notre Cardinal de Richelieu en avait usé perfidement contre le Saint-Empire en lui exportant nos guerres de religion, attisant ainsi la terrible guerre de Trente ans (1618-1648).
Trop de grands Etats cherchent à se refaire une virginité ou à retrouver des couleurs impériales en se vengeant de cet « Occident » mythique qu’ils accablent de toutes leurs frustrations, qu’il s’agisse de la Russie de Poutine, de la Chine de Xi Jinping, de la Turquie d’Erdogan, ou d’autres. Cela signifie d’abord que ces « puissances » ont leurs talons d’Achille voire leurs cancers internes dont elles savent pertinemment qu’elles n’ont pas les moyens de les résoudre à vue humaine. Et leurs dirigeants savent aussi que, plus ou moins tard, ils seront rattrapés par la patrouille, que leur règne aura sa fin, sans doute brutale. Le choc actuel des civilisations que personne ne peut ni ne doit occulter n’est qu’un écran de fumée qu’on étend pour masquer la réalité des problématiques internes. Celles des démocraties sont tout aussi critiques, mais celles-ci incluent par nature la résilience qui permet de les affronter, l’histoire du XXe siècle l’a prouvé. Espérons que, comme en 1648 avec les Traités de Westphalie fondateurs de « l’ordre européen », ce choc des Titans contemporains qui ne peut déboucher sur la victoire d’aucun d’entre eux, se soldera « à la westphalienne », c’est-à-dire chacun chez soi dans le respect de la souveraineté des autres. On en est bien loin et cette issue espérée n’est pas pour demain.

Samedi 31 octobre – Deuxième jour de confinement. Un temps d’été, mais j’ai résisté à la tentation de sortir et d’aller contempler l’océan. Les autres, vacanciers ou autochtones, sont-ils aussi disciplinés que moi ? Et pour cause, je n’en sais rien. J’ai achevé la lecture du Journal de la Chinoise Fang Fang qui s’intitule Wuhan, ville close (Stock, 2020). C’est bien long et répétitif – les soixante jours d’enfermement à domicile l’étaient tout autant -, mais on y retrouve cette petite musique si familière en Chine, l’esprit de protestation, le courage de dire les choses et d’affronter les invectives des « ultra-nationalistes ». Du 25 janvier au 24 mars, chaque soir pendant soixante jours, Fang Fang alimente son blog sur le réseau social Weibo ; souvent ses chroniques sont censurées et/ou supprimées, mais ses amis prennent le relai et les textes circulent ; elle aura plusieurs millions de lecteurs et un bon paquet de censeurs. Bel exercice de liberté d’expression, malgré tout ! Ne désespérons donc pas de la Chine, et là je veux parler du « peuple chinois ». Ne confondons pas le PCC et le peuple, n’oublions pas qu’il n’y a pas d’élections et que le Parti ne représente que lui-même. Fang Fang revient sans cesse sur les trois semaines perdues en janvier, sur le déni des autorités locales et des responsables sanitaires. Mais, comme ailleurs, elle salue le courage et le dévouement des soignants, la patience ou la résignation des Wuhanais pourtant volontiers frondeurs d’après elle. Ce qui frappe le plus, à chaque page ou presque de ce livre, c’est la montée de la solidarité, l’entraide entre voisins et collègues, l’attention aux autres face aux épreuves et à la solitude, toutes qualités dont nous devrions nous inspirer pour passer les prochaines semaines – les prochains mois ? – sans trop de dommages C’est en creux et sans les mots qui fâchent le constat de la dualité chinoise, ce que j’ai moi-même observé depuis quinze ans et qui m’autorise à espérer que le sort de la Chine n’est pas scellé. Pour illustrer ce livre et pour, comme le fait Fang Fang, parodier Tolstoï, on peut citer l’ouverture d’Anna Karénine : « Si tous les hommes heureux se ressemblent, en cas de malheur chacun d’eux est un cas particulier ».
Une idée m’est venue bien avant l’aube en repensant au débat qui fut le nôtre au mois de mai sur « le monde d’après ». Et cette idée c’est que, si nous évoquons ce que pourrait être l’avenir, nous n’avons de cesse d’implorer le retour au passé, à ce monde que nous appelons normal uniquement parce qu’il nous est familier. Les quatre mois post-confinement ont démontré s’il en était besoin à quel point nous n’envisagions que de retrouver nos chères habitudes, cet agenda et ces relations qui avaient créé les conditions d’expansion du virus. Nous avons tant et si bien fait que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’épidémie est repartie de plus belle, et nous voilà reconfinés non par abus de négligence mais par esprit de routine. Le monde d’après ne se dévoilera que si nous acceptons collectivement de modifier nos façons d’être et de nous comporter. Cela me paraît décisif si nous ne voulons pas subir, de façon chronique, les avatars des milliers de virus plus ou moins stables qui guettent nos défaillances pour ruiner nos sociétés.
Devant la montée des protestations dans le monde musulman, le Président Macron a accordé ce jour un entretien à la chaîne arabe Al-Jazira pour s’expliquer sur les « caricatures ». Quitte à ne pas « être Charlie » et donc à me placer à contre-courant de la bien-pensance républicaine, je pense, comme l’avait exprimé Jacques Chirac en son temps, que la sacro-sainte liberté d’expression doit être employée dans « un esprit de responsabilité ». Je crois que nous nous sommes placés avec cette défense rigoriste des caricatures dans une impasse dont nous ne pourrons sortir qu’en avalant un morceau de notre chapeau. En réalité, les vives protestations du monde musulman contre la France sont justifiées. Alors que nous avions le droit et la compassion avec nous après la décapitation innommable de Samuel Paty, nous avons collectivement gâché cet instant en légitimant la provocation, ce que les croyants toutes religions confondues appellent un blasphème. Il est inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (Article 4) que le légitime exercice de la liberté « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». Prendre les caricatures comme modèles de la liberté d’expression est faire injure à la culture française et peu de cas de ce qui la caractérise, la justesse, la finesse et le bon goût. On est loin de tout cela.
Le 5e plenum du Comité Central du PCC s’est clos hier vendredi 30 octobre. Cette assemblée des quelques trois cents membres et suppléants du Comité Central est un événement préparatoire au XXe Congrès du PCC qui se tiendra à l’automne 2022 ; il devrait entériner la reconduction du Président Xi Jinping dans ses fonctions actuelles ou dans d’autres – comme le firent Mao et Deng – qui lui conserveront l’essentiel du pouvoir. De ce que j’ai compris des comptes-rendus, pour la première fois le projet de plan quinquennal 2021-2025 n’affichera pas d’objectif de croissance. Cela pourrait s’expliquer par le report à 2035 de l’ambition de « xiao kang », cette aisance moyenne qui était programmée pour 2020 et que les aléas du modèle économique comme les effets de l’épidémie ont empêché d’atteindre. Ce qui est envisagé pour 2035 c’est un Pib par tête de 20 000 dollars, soit un doublement en quinze ans de la richesse chinoise, actuellement aux alentours de 10 000 dollars par habitant. Ce niveau de richesse en 2035 correspondra sans doute – en moyenne – au tiers du revenu correspondant dans les pays développés, ce qui induit que, compte tenu des inégalités sociales et d’un indice de Gini au-delà de 40, si 800 millions de Chinois se situeront alors à notre niveau, les 600 millions restants stagneront toujours en-deçà du seuil de développement, comme l’avait mentionné le Premier ministre Li Keqiang lors de la clôture des deux Assemblées le 28 mai dernier. L’élément qui vient corroborer ce retard dans le projet chinois, c’est le calcul de la croissance nécessaire pour atteindre l’objectif de 2035 : 3,5% par an, soit la moitié du taux de croissance observé ces dernières années. J’attends de voir de plus près les commentaires des experts, mais il semblerait que ce changement de pied soit d’abord un aveu d’échec et aussi l’amorce d’une régression du modèle économique, sans doute vers une économie dirigée, au-delà même des secteurs dits stratégiques. Le retour de l’esprit du « grand bond en avant » des années 1958-1960 démontre l’entêtement des caciques du PCC à revenir aux stricts archaïsmes du socialo-maoïsme qui conduisirent la Chine vers ses années les plus sombres.

Dimanche 1er novembre – …Dans le Monde daté d’aujourd’hui, le professeur de science politique Jean-François Bayart a publié un long article pour dénoncer « l’islamophobie d’Etat », un titre excessif et provocateur que ne justifient pas ceux de ses arguments qui me paraissent pertinents. Il rappelle d’abord l’histoire récente et comment en Afghanistan nous avons dressé les talibans contre l’armée soviétique, la guerre du Golfe en 1991 où nous avons souillé la terre d’islam, la conquête de l’Irak en 2003 avec la déchéance du laïc Saddam Hussein et la dissolution de son armée, noyau du futur Daesh. Cela pour les Américains et leurs alliés. Il mentionne aussi, à notre endroit, que « le djihadisme au Sahel parle moins d’islam que de crise agraire ». Il cite ensuite la Lettre aux instituteurs (1883) de Jules Ferry dont je veux mentionner un passage qui me semble essentiel : « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent dans votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ». Enfin, il exprime sa colère devant l’hypocrisie d’une élite politique qui, soudain, à l’occasion de l’assassinat de Samuel Paty, redécouvre l’enseignant…comme elle l’a fait il y a six mois avec les infirmières, mais n’a cessé depuis quarante ans de malmener financièrement et idéologiquement l’hôpital et l’école. Les deux derniers arguments n’ont rien à voir avec le titre de l’article et frappent juste. Que nous ayons successivement maltraité les terres d’islam, puis les croyances des musulmans eux-mêmes, enfin négligé et mis en péril nos enseignants, paraît à certains égards indiscutable et mériterait que nous apprenions de nos erreurs.
J – 3 avant les élections américaines. Le monde entier semble suspendu à cet événement dont le résultat influera sur notre sort pour les quatre prochaines années. Même si « Jo l’endormi » comme le surnomme Trump l’emporte, ce que je crois possible et que j’espère, Trump a réussi à transformer l’Amérique et à détruire l’organisation du monde. Ce que confirme Pascal Lamy interviewé par le JDD : « In fine, le découplage entre les économies chinoise et américaine recherché par Trump va renforcer l’autonomie voire l’autarcie chinoise. C’est une énorme gaffe stratégique […] Les Chinois sont paradoxalement devenus les chantres du libéralisme commercial, ils se sont convaincus qu’ils pouvaient passer outre les Etats-Unis et s’ouvrir un boulevard géostratégique. Que ce soit Trump ou Biden, le monde est en train de basculer vers l’Asie, mais à partir d’un système qui marche encore avec le logiciel occidental servant à produire de la coopération sur tous les plans. Ce système, devenu inopérant, risque d’aboutir à des fractures insoutenables. Nous plaidons donc en faveur d’un « polylatéralisme » impliquant les Etats, mais aussi les organisations philanthropiques, des villes, des ONG, des entreprises, des scientifiques ». Ce démantèlement des relations inter-nationales est une chance pour l’Union européenne de faire des propositions novatrices et de s’y faire une place digne de ce qu’elle représente.
J’ai parcouru avec intérêt les bonnes feuilles que publie le Figaro magazine du dernier livre de Michel Onfray sur les Vies parallèles : De Gaulle, Mitterrand (Robert Laffont). Sur plusieurs ouvrages de ce prolifique philosophe, j’ai eu quelques difficultés à supporter son abondante et péremptoire logorrhée (Cosmos, etc.), mais là je dois avouer que, confinement ou pas, je vais me débrouiller pour me procurer cet opus. Ce que j’en ai compris, et sur lequel je reviendrai dès que je l’aurai lu, c’est la remise à sa place, fort modeste, de celui qui ne fut jamais que le quatrième président de la Ve République. Comment comprendre qu’il ait encore aujourd’hui des thuriféraires, alors que l’histoire commence à éclairer le rôle déterminant qu’il eut – et avec lui tous ses successeurs – dans les erreurs stratégiques qui ont conduit la France dans une série d’impasses ? A commencer par la « financiarisation » de l’Etat, erreur fatale du détricotage des services publics, ce que confirme Daniel Cohen dans ce même journal : « Si l’on a appris quelque chose de cette crise (la pandémie – NDA) c’est que les plans d’économie sur les systèmes de santé mais aussi d’éducation, de justice et de sécurité, sont des catastrophes absolues ». Le « tout fric » inauguré avec les années 1980 a paupérisé les fonctions essentielles de l’Etat et dilapidé ses ressources dans le tonneau des Danaïdes de l’assistanat. Affaire à suivre donc…

Mardi 3 novembre – Le monde retient son souffle : les Américains vont-ils avoir la sagesse de se (et de nous) débarrasser de leur voyou de Président ? En attendant, il faut revenir sur ce qui agite aujourd’hui les esprits, inonde les journaux et focalise l’attention des autres médias : le mille-feuilles de la crise dont on ne sait plus très bien par quel bout la prendre tant elle assimile nos sociétés à de grands blessés polytraumatisés. L’exemple nous vient effectivement d’Amérique où, non content de nier la théorie de l’évolution, le changement climatique, le multilatéralisme ou la contagion épidémique, et j’en passe, Trump a inauguré le règne des déconstructeurs institutionnels, ces figures d’autocrates illibéraux  qui profitent d’un système électif pour le pervertir et en saboter les ressorts. Il faut que les régimes démocratiques aient des fondements à toute épreuve pour que, réduits aux acquêts comme on le dit des régimes matrimoniaux, ils ne sombrent pas sous les coups répétés et incessants de cette crise polymorphe. On reparlera des Etats-Unis demain – ou probablement plus tard – lorsqu’ils auront franchi le redoutable obstacle d’une élection toujours opaque à quelques heures de son échéance.
Restons à la maison, comme on nous y invite en temps de confinement, et penchons-nous sur le cas français qui me paraît exemplaire. La France fut souvent l’exception à travers son histoire, ses institutions, ses mœurs ; aujourd’hui, elle me paraît exemplaire de la crise globale qui survole en rase-mottes ce monde surprenant. Elle conjugue en effet, avec plus ou moins de répondant, la plupart des malheurs du monde contemporain : une double peste en réalité, connexion de la forte deuxième vague automnale de l’épidémie et des flammèches disséminées du terrorisme islamiste dans leur actualité brûlante. Ces deux phénomènes surviennent sur fond d’une série de problèmes, de fractures et de dysfonctionnements qui empoisonnent la société depuis plusieurs décennies et qu’ils ne font qu’amplifier à moins qu’ils ne les révèlent.
La première est une crise politique que l’élection présidentielle de 2017 a mise en lumière avec l’effondrement des partis dits de gouvernement et qui s’est ensuite entretenue au travers de désordres épileptiques (gilets jaunes, système de retraites…) dont la gravité et le niveau de violence ont interdit toute perspective raisonnable de réformer le pays. La crise s’est aggravée sur le plan macro-politique d’un affaiblissement général de la démocratie libérale, ie du modèle occidental. Le retrait marqué des Américains de leurs responsabilités mondiales, entrepris par le Président Obama, leur désaffection des organes de régulation internationaux, leur défiance à l’égard des Alliés, notamment européens, tout cela a ouvert un champ d’opportunités aux anti-démocrates de tous acabits qui en ont profité pour faire valoir leurs ambitions en même temps que leurs visions du monde, un monde dérégulé tendance chaos. Mises dans le même sac que les Etats-Unis, les autres démocraties, accusées de faiblesse, d’inefficacité voire d’hypocrisie, ont été d’autant plus stigmatisées qu’elles étaient confrontées à des problèmes inédits ou négligés depuis longtemps. Tous ces pays, européens pour la plupart, qui ont réussi à surmonter les épreuves de deux guerres mondiales, se sont laissé aller dans les délices émollients de la société de consommation ou dans les utopies irénistes de la paix éternelle et du gouvernement mondial. Ce vent mauvais qui souffle sur les démocraties n’a fait qu’attiser les braises du déclin alors que les pompiers de service désertaient leurs postes et découvraient les joies des 35 heures et les RTT…
En suivant sa pente habituelle, la faiblesse du politique, voire son rejet, a renforcé ce que ce celui-ci savait encadrer auparavant, à savoir les idéologies, tous les « ismes » qui cohabitent prudemment en temps normal et qui se déchaînent lorsque les barrières cèdent. A commencer par l’islamo-gauchisme de sinistre réputation, les communautarismes et les séparatismes qui tirent ensemble sur la corde dont ils sont parvenus à rompre plusieurs brins.
Mes amis chinois me le répètent souvent : votre système paraît sympathique au premier abord, mais apparemment ça ne marche pas, son rendement est trop faible ; alors que le nôtre que vous trouvez radical et rugueux collectionne les résultats, pas seulement économiques ou techniques : nous avons vaincu en huit semaines l’épidémie qui vous ruine depuis le mois de mars. J’ai beau leur rétorquer qu’on ne compte les points qu’à l’issue de la partie, il semble bien que celle-ci soit mal engagée. Notre crise démocratique est donc sérieuse car elle est entretenue de tous côtés, de l’extérieur comme de l’intérieur où les « élites » n’en peuvent mais, d’abord parce qu’elles « n’y croient plus », ensuite car elles n’ont pas été formées dans la perspective de tels cataclysmes. J’ai déjà dit à quel point leur manquait la connaissance de la démarche stratégique et des méthodologies qui rendent celle-ci pertinente. Difficile d’enseigner la guerre au plus fort de la retraite : « trop tard » aurait dit Foch ! Que la démocratie bafouille comme en Amérique, qu’elle s’érode en Europe et s’y « délibéralise », sa maladie doit être diagnostiquée pendant qu’il en est temps puis soignée de façon énergique. Mais ne rêvons pas trop !
Sans me laisser aller à une sociologie de comptoir où l’on manipule si facilement les faits et leur signification, et en restant dans mon domaine de prédilection sinon de compétence, à savoir la recherche stratégique, je voudrais tenter de fixer mes réflexions sur le cœur du problème qui nous taraude aujourd’hui : la désagrégation sociale. Je m’inspire toutefois de Max Weber et de la définition qu’il donne de la sociologie dans Concepts fondamentaux de sociologie (tel, Gallimard, 2016, p.95) : « On appellera sociologie une science qui veut comprendre l’action sociale en l’interprétant et par là l’expliquer causalement en son déroulement et en ses effets ». En effet, la crise de société semble englober la détérioration du cadre politique, en être l’alpha et l’oméga, la précéder et la suivre immédiatement. J’ignore la part de causalité de l’une à l’autre. La médiocrité du politique est-elle antérieure à la déliquescence sociale ou est-ce le contraire, la détérioration du tissu social interdisant au politique d’encadrer et de conduire la société ? J’ai plusieurs idées sur ces questions mais qui n’aident pas à faire pencher la balance pour l’une ou l’autre thèse.
Je crois d’abord à une profonde crise des valeurs qui, délaissant celles qui relèvent de la spiritualité et de la morale et donnent son sens à la vie, au profit (c’est le cas de le dire) de valeurs matérielles – l’argent-roi – celles qui rendent effectivement la vie plus facile et agréable, a altéré une société fatiguée par un siècle épuisant et fragilisée par les épreuves de deux guerres mondiales ; la première a fauché la jeunesse française, la seconde a terni notre honneur et la haute idée que les Français se faisaient à juste titre de leur nation. Et nos élites, que nous pensions traditionnellement dévouées au bien commun, ont commencé à se détourner du service public pour aller pantoufler dans des emplois moins exposés et surtout plus lucratifs. On ne peut trop les critiquer tant l’Etat fut désinvolte à leur égard, et même parfois ingrat. Mais, avec leur compétence et leur désir de réussite, ce sont ces élites qui ont conçu et imposé notre société de consommation actuelle, à l’américaine, si contraire à nos traditions et aussi à nos paysages, un pseudo-aménagement du territoire qui défigurait les abords des villes dont les centres se voyaient privés de leur animation commerciale ; une modification géographique révélatrice d’un déséquilibre général.
Cette désertion des élites a quelque chose à voir avec l’entreprise de déconstruction entreprise depuis plus d’un siècle par les intellectuels, tous ces théoriciens qui se sont persuadés, avec Marx et sa cohorte destructrice, qu’un nouveau monde ne pouvait naître que des ruines du passé, dont il fallait donc « faire table rase ». Sur le plan des idées avec le philosophe si influent que fut Frédéric Nietzsche, mais aussi sur celui des croyances avec l’instauration du principe de laïcité dans un pays profondément marqué par la religion, s’est instaurée une sorte de nihilisme qui fait que rien ne vaut rien autrement que sa valeur marchande, et qu’on met en avant l’accessoire ou le secondaire qui cache alors le tout. Si l’on peut admettre la nécessité que « le neuf remplace le vieux », ce qu’on appelle continuité, le processus de déconstruction – dont nous ne voyons toujours pas la fin – a été d’une telle ampleur et d’une si grande violence qu’il n’autorise encore aujourd’hui aucune perspective de reconstruction. Je crois que nos sociétés sont tout simplement malheureuses d’avoir à se confronter à un champ de ruines, sans la promesse « sérieuse » d’un vaste plan de rénovation et sans la présence d’un architecte à la hauteur de l’enjeu. Lorsqu’elle s’en prend au passé, la déconstruction, bien que légitime et souvent nécessaire, touche au cœur de la société, de ce qui l’a construite, de ce qui l’anime ; elle la fragilise. Mais lorsqu’elle occulte l’avenir en sapant les bases des futurs possibles, cette démolition nous condamne à tout ce qui caractérise le court terme : l’urgence, le provisoire, le commentaire, le superficiel. La déconstruction systématique a ruiné l’esprit stratégique.
Après la déconstruction vient naturellement la fragmentation. C’est le constat d’un espace chaotique que fait Jérôme Fourquet dans sa récente étude sur L’Archipel français. Il met ainsi le doigt sur l’aspect le plus inquiétant de la société française, littéralement fracturée sur les divers plans économique, social, territorial, ethnique, religieux…Y a-t-il encore une nation française ? La vraie question politique aujourd’hui : par où faut-il commencer, reconstruire ou rassembler ? La réponse me semble évidente, mais nous n’en prenons pas le chemin : c’est sur une œuvre collective que nous pouvons nous retrouver, pas sur des discours.
Je voudrais enfin avancer l’idée, pour moi fondamentale, de la fabrication et de l’accès à l’information. On le sait, c’est la matière première de toute stratégie, elle est à la base de l’action comme de la réflexion. Le numérique l’a diffusée dans des proportions inimaginables il y a encore trente ans, au point qu’elle est disponible instantanément et pour quiconque est connecté, soit au moins cinq milliards d’humains. C’est une révolution au sens propre du terme, c’est-à-dire une totale inversion des valeurs : le pouvoir était fondé en grande partie sur le monopole de l’information, et nous avions encore en 1968 un ministre de l’Information, patron réel des deux chaînes de télévision. Notre libre accès à toute information – ou presque – suggère que nous soyons tous aussi capables de clairvoyance et de rationalité ; notre libre capacité d’accéder aux réseaux sociaux et ainsi de fabriquer de l’information suppose que nous soyons tous aussi capables de retenue et de sens des réalités. Pour ma part, je pense qu’une société déstructurée et fracturée, en proie à des tendances contraires voire nihilistes, n’a pas la maturité nécessaire pour manipuler un explosif aussi sensible que l’information. Cela pose évidemment la question de la censure qui fait hurler les bonnes âmes mais qui va progressivement s’imposer face aux dérives que nous constatons et qui pourrissent la vie sociale. Ou comment on a fait en moins de vingt ans d’un outil d’émancipation sans précédent dans notre histoire une arme de destruction massive dans les mains de tous les cinglés de la terre – qui sont nombreux et dangereux.

Samedi 7 novembre – Je comptais sur les élections américaines pour nourrir ma chronique mais, même si l’issue ne fait plus de doute après un éprouvant suspense, l’incertitude sur le processus de désignation du nouveau président – Jo Biden – est toujours la tarte à la crème des chaînes d’information. Mais à l’heure où j’écris – 17h30 heure française -, la nouvelle de la désignation du Président élu vient de tomber par le truchement des médias à défaut d’un ministère de l’Intérieur fédéral proclamant les résultats : Biden sera donc le 46e Président des Etats-Unis ; il aura la tâche herculéenne de recoudre non seulement le tissu américain mais aussi les draperies saccagées des relations internationales. J’en profite pour revenir sur cet événement, d’abord parce qu’il semble que Trump refuse la défaite et va tenter de faire de la résistance au moins jusqu’au 14 décembre où les grands électeurs se prononceront, ensuite parce que cette élection a révélé des fractures qui sont certes américaines mais qui ne leur sont pas propres : elles ont gagné le monde et l’Europe. Je ne vais pas en faire une dissertation, d’autant que sur ce sujet les expertises entendues sur les médias étaient d’une grande qualité, les ressorts complexes de la politique américaine ayant toujours fasciné nos politologues. Les deux points majeurs qui vont peser sur l’avenir me semblent se trouver : 1/ dans la fracture profonde, sociologique et géographique, entre les Américains, mais qui révèle en creux celle qui ronge les peuples européens, au premier rang desquels le français ; 2/ dans un paysage international saccagé par l’actuel président et qui peut conduire à des situations très dégradées.
Trump disparu de la Maison blanche ne sera pourtant pas loin ; il a 70 millions d’adeptes, une masse considérable et en partie fanatisée à qui il sera ardu de faire entendre raison ; surtout si la pandémie continue de ravager les Etats-Unis, non seulement en termes sanitaires mais aussi et surtout sur le plan social. Le populisme et tous les symptômes qui l’accompagnent existaient avant Trump qui les a d’abord incarnés avant de les sublimer, ils demeureront après lui tant que ses causes n’auront pas été calmées ou dissoutes. Le concernant, on peut souhaiter que le procureur général de Manhattan s’occupe de ses turpitudes dès le 21 janvier 2021. Mais des graines ont germé sur un terreau favorable et les herbes folles seront tenaces. N’est-ce pas l’image d’une Amérique désespérée, au sens où elle a perdu ce qui faisait sa force : sa foi inébranlable dans son destin ?
Donc les Etats-Unis sont durablement fragilisés et divisés ; cela n’augure rien de bon pour le nouveau président qui, par ailleurs, aura les mains liées par un Congrès hostile. Je pense qu’il nous faudra vivre ces prochaines années avec une Amérique prudente voire frileuse, en tout cas incapable de reprendre sur la scène mondiale le rôle central qui fut si longtemps le sien ; notamment à l’égard de la Chine. Ce changement du président américain ouvre une fenêtre opportune pour l’Union européenne de poursuivre sur la voie de l’autonomie stratégique dans laquelle elle commençait timidement à s’engager, et ce si possible en accord ou en bonne entente avec la future Administration. A mon avis, le front principal sera celui de l’OTAN dont il faudrait exclure la Turquie dans les meilleurs délais avant que les Ottomans ne pourrissent cette Alliance de l’intérieur ; sinon, le président français devra envisager de rompre nos liens avec cette organisation comme le fit en son temps le Général de Gaulle. Mais sur ces deux plans, sociétal et international, les dégâts de l’ère Trump seront probablement irréparables ; il a sciemment semé le trouble, renversé les tables, nié les réalités, excité les haines, trahissant ainsi les dogmes sacrés de la politique, ce qui fait en temps normal que nous parvenons à « vivre ensemble ». Ce soir, satisfait mais pas soulagé !

Lundi 9 novembre – Cette date est importante à un double titre dans nos vies déjà avancées de « seniors ». Je commencerai par la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, cette palissade de béton qui divisait l’ex-future capitale allemande depuis près de trente ans et qui symbolisait ainsi la guerre froide, la grande diviseuse du monde. Affecté alors au Secrétariat général de la Défense nationale après un long parcours dans des forces armées qui avaient pour fonction, au nom du principe de dissuasion, de maintenir la guerre en-deçà du seuil de déclenchement et d’en éviter la « chaleur », j’ai ressenti aussitôt la gravité stratégique de cet événement là où la plupart – et nos dirigeants politiques ou militaires, en état de sidération -, n’y voyaient qu’un bouleversement géopolitique. Remplissant la fonction de Conseiller pour le Secrétariat des Conseils de Défense (CSCD), j’ai pu pendant presque quatre ans observer à quel point aucun de ces responsables n’avait pu ou voulu mesurer la portée stratégique de la fin de cette guerre étrange qui avait révolutionné la « pensée de la guerre » chère à Jean Guitton et façonné nos concepts et systèmes de Défense. Trente ans après, alors qu’il eût fallu revoir fondamentalement ces derniers en raison des « circonstances », nous sommes toujours prisonniers d’une doctrine d’un autre âge. J’y reviendrai au lendemain de la commémoration du 11 novembre.
Le deuxième 9 novembre, le premier dans le temps en réalité, fut celui où disparut le Général de Gaulle en 1970. Nous ne l’apprîmes que le lendemain matin et ce fut, en cette veille de l’Armistice du 11 novembre 1918, une journée étonnamment silencieuse et pesante. La France était abasourdie, moi parmi tant d’autres qui demeurais mal à l’aise depuis l’échec du référendum du 27 avril 1969 au constat duquel le Général avait quitté la fonction suprême et s’était retiré sur son Aventin de Colombey. J’ignorais en apprenant sa disparition que je serais dès le lendemain au pied de sa dépouille dans sa maison de la Boisserie et que son cercueil me serait confié pour le conduire à sa dernière demeure. J’ai raconté par ailleurs – Les Minutes de silence – ces moments historiques, intenses, inoubliables.
En me remémorant ces instants, qui restent gravés dans mon esprit, je ne peux m’empêcher de les associer aux épreuves que nous traversons aujourd’hui. Ceux qui se réclament du gaullisme cinquante ans après l’échec et la mort du Général me plongent dans l’embarras. D’abord je ne crois pas que le gaullisme puisse être revendiqué comme une doctrine. Lui-même la qualifiait de « doctrine des circonstances », ce qui relève d’un oxymore peu compatible avec une théorie politique. Si c’est avoir « une certaine idée de la France », ce patriotisme-là se traduit sur de multiples et authentiques visages et on ne peut l’ériger en cathédrale dogmatique. Pour parodier de Gaulle, la France n’appartient à personne, c’est une figure universelle. Et je ne crois pas que le gaullisme à l’état pur ait jamais existé.
Ce qui est exceptionnel dans l’épopée gaulliste, c’est que, si dans l’histoire les grands hommes émergent d’un mouvement de fond, populaire ou national, avec de Gaulle c’est l’inverse qui se produisit : ce fut l’homme dans la solitude de sa volonté qui décida du mouvement du peuple. Sa popularité ne sera jamais démentie, non par adhésion à des concepts ardus à vulgariser mais par reconnaissance à un homme qui dominait les Français d’une stature hors du commun.
Quant aux gaullistes historiques, les Compagnons, à part deux d’entre eux1, ils sont tous morts. Pour ceux qui s’en sont réclamés ces dernières décennies, ou qui prétendent s’y rattacher aujourd’hui, et beaucoup ont été ou sont de bonne foi, comment ne se sont-ils pas rendu compte que leur prétendu gaullisme est autant un archaïsme qu’une hérésie ? Le Général n’était pas aveugle au futur et plusieurs de ses propos, parlés ou écrits, dessinent à grands traits certaines des caractéristiques de notre époque, notamment s’agissant du progrès technique dont il pressentait l’énorme potentiel. En revanche, sur le plan sociologique, je pense que le Général de Gaulle s’est trompé avec constance. S’il avait de la France une connaissance profonde et charnelle, il n’en allait pas de même des Français dont il avait une vision « d’aristocrate ». Il leur a fait croire qu’ils étaient co-auteurs de la grandeur de la nation, qu’ils avaient « fait » la France, alors qu’il savait que la France « s’est faite à coups d’épée », qu’elle a été fabriquée de toutes pièces par ses rois, qu’elle a été sauvée en 1940 par De Gaulle alors que le peuple se vautrait dans les bras secourables d’un vieux maréchal. En même temps, dans ses temps de confidence, il les traitait de veaux. Le Général de Gaulle a beaucoup menti aux Français pour tenter de les hisser au-dessus de leurs réalités ; et ils l’ont longtemps acclamé. Ce fut le temps des illusions, et la chute post-gaulliste fut d’autant plus brutale. Ceux qui font semblant de le pleurer aujourd’hui sont les mêmes, ou leurs descendants, qui l’ont poussé sans ménagement à deux reprises hors du pouvoir. Comme preuve d’adulation, on peut faire mieux. Le gaullisme de nos jours est un pur fantasme.

Mardi 10 novembre – Ce qu’il faut retenir du Général tient en deux mots, l’un qui le porta au pinacle, celui de « Résistance », l’autre qui le voua aux gémonies et c’est la « Participation ». La Résistance, c’est une formidable formule qui associe le caractère et le discernement ; le premier est forgé par la volonté, le second par la culture. Tout cela est explicite dans le maître ouvrage qu’est Le Fil de l’épée, sans doute un des livres les plus importants du siècle, peut-être même de la littérature française. Quand on imagine ce que put être la rébellion d’un soldat, par nature discipliné, en outre pur produit du milieu bourgeois et d’une droite conservatrice, prisonnier des Boches pendant plus de trois ans malgré une frénésie de tentatives d’évasion, on reste proprement ahuri du coup d’éclat de son refuge londonien, du pas franchi le 17 juin. Après, tout s’enchaîne et se comprend. Mais la rupture initiale, celle du nœud gordien, dit tout de la force de caractère du personnage et…de son aventurisme. On demeure aussi pantois devant un tel discernement dont on devine que, loin d’être inné, il fut le fruit d’un travail considérable, d’une réflexion d’une rare intensité, d’une résolution sans faille. L’appel du 18 juin, au-delà d’un vibrant morceau de rhétorique, est une analyse magistrale des événements et la préfiguration exacte de ce que sera la seconde guerre mondiale. Résister, ce n’est pas seulement s’opposer aux circonstances, c’est leur donner une réponse dans le temps comme dans l’espace.
S’il y eut un désaccord majeur entre les Français et de Gaulle, c’est bien sur la Participation qu’il porta. C’était pourtant la grande idée politique du Général. Mais après tant de projets essentiels menés à leur terme, portant sur la souveraineté de la France et sa sécurité, sur les indépendances de nos colonies, sur la maîtrise des technologies avancées, sur la prospérité économique, etc., le chantier sociétal restait largement en retard. Certes, Mai 68 avait obligé à prendre conscience, mais en fin de règne, du fossé qui s’était creusé dans la population, notamment dans la jeunesse et aussi dans le peuple, à l’encontre d’un système jugé archaïque et qui l’était à maints égards. L’idée de « participation » arriva trop tard et sous une forme vieillotte qui n’entraînait aucun enthousiasme. Le référendum d’avril 1969 tomba à plat car personne ne comprit où le Général voulait en venir, ni dans le camp des fidèles ni dans l’opposition qui sauta sur une si belle occasion de dénigrer une politique aventuriste, décalée et vieillissante. Le rejet, sans être écrasant, fut cinglant et le Général, à bout de forces, jeta l’éponge. L’idée de participation, reprise ici ou là, dans les entreprises en particulier, ne fut pas comprise dans sa dimension politique. Arnaud Teyssier dans son De Gaulle, 1969, l’autre révolution fait justice de ce projet gaullien. Ecartant à la fois la gauche et la droite, il veut relier directement le peuple à l’Etat. Les partis politiques, incapables de sortir de leurs dogmes, sont néfastes et inutiles dans les temps de crise où nous sommes englués. Face au terrorisme, au virus, aux désordres mondiaux, il faut un Etat fort et respecté. Cette confiance ne peut provenir que de ce qu’on appelle aujourd’hui la « société civile » ; et c’est bien celle-ci qu’il convient d’organiser pour qu’elle établisse avec les pouvoirs publics le continuum nécessaire à une action coordonnée et efficace. Inutile pour ce faire de réformer le Sénat ou de bouleverser nos institutions. Nous avons les moyens de mettre la société en ordre de marche et, surtout, de lui confier les taches de « proximité » dont la population a besoin et que l’Etat, trop absorbé par ses fonctions régaliennes, doit déconcentrer au niveau de la plus grande efficacité, sur le terrain, aux mains des individus et des associations. S’il s’agit de faire participer les citoyens au bon fonctionnement de la société, de leur en confier les rouages, alors la « participation » est effectivement la grande idée politique pour les prochaines décennies. Ce serait en fait marier la verticalité unique du pouvoir avec l’horizontalité diverse et multiple des individus ; concilier l’autorité nationale et le dévouement au bien commun. Qui ne pourrait y souscrire ? En réalité, le Général de Gaulle ressent, sans parvenir à l’expliciter, ce qui est le problème politique essentiel de notre époque, à savoir l’absence du lien, qu’il soit négligé ou rompu, entre la société des individus, dans sa diversité et aussi sa légitimité, et le noyau étatique. Cela n’a rien à voir avec les rivalités partisanes, avec la lutte des classes ou, même, avec les inégalités socio-économiques. Cela concerne le cœur du principe démocratique, le meilleur antidote aux populismes qui nous menacent.

Jeudi 12 novembre – En ce lendemain de 11 novembre, je veux revenir sur notre politique de défense, son concept stratégique et son système militaire. L’immobilisme que j’ai pu constater au sommet de l’Etat au début des années 1990 de mon poste privilégié de secrétaire du Conseil de Défense s’est poursuivi sous les présidences suivantes. Ce qu’on ne conçoit pas d’emblée et qu’on ne réalise pas rapidement se perd dans le flux ininterrompu des problèmes qui se posent aux responsables ; c’est aussi vrai dans l’ordre stratégique que sur le plan économique ou social. Les occasions ratées se représentent rarement. S’agissant d’une question aussi essentielle et vitale que la Défense, la chute du Mur, l’effondrement de l’Union soviétique et du Pacte de Varsovie, la fin virtuelle de la guerre froide, sans annonce, sans traité, sans vainqueur, ce tremblement de terre aurait dû au moins ébranler le faîte de l’Etat. Il n’en fut rien et l’on sait pourquoi ; outre la dégradation physique de François Mitterrand, l’aporie stratégique due à la congélation de la guerre pendant trente ans avait anesthésié toute capacité de réflexion de ce niveau. La stratégie s’était endormie en même temps qu’on avait mis la guerre au réfrigérateur. Comme si la stratégie était la fille de la guerre alors qu’elle est la mère de toute action, quelle qu’elle soit ! On fit donc la guerre du Golfe, puis celle des Balkans, puis celles d’Afghanistan et d’Irak, aujourd’hui celle du Sahel qui dure depuis déjà bientôt huit ans, avec le même concept essoré et un système de forces squelettique. Sur un autre plan, l’Alliance atlantique, impuissante à se réformer, n’a pas osé repenser son système militaire – l’OTAN – alors que son ennemi fondateur avait disparu. Sous le prétexte navrant que la théorie de la dissuasion valait quelles que fussent les circonstances, les politiques, les concepts et les systèmes qui en découlaient étaient considérés comme inamovibles voire éternels. C’est proprement stupide. Alors on a bricolé ; pour former la division Daguet en février 1991 qui nécessita de démanteler les cent régiments de la 1re Armée ; pour servir en ex-Yougoslavie où il fallut contourner la loi pour y envoyer des « appelés volontaires » ; pour créer une armée professionnelle aux effectifs étiques (budget oblige) dont la vocation opérationnelle était manifestement orientée vers des théâtres extérieurs, très éloignés de la préoccupation majeure de défense du territoire et même de protection des marches européennes, etc. Comme si l’adversaire islamiste n’avait ouvert ces fronts lointains que pour y attirer nos forces et les ensabler loin de la « patrie charnelle ».
J’écris cela aujourd’hui à propos de notre système de défense « et de sécurité », ce que je connais le moins mal, car il me semble qu’il en est pratiquement de même dans d’autres secteurs de la vie nationale qui sont confrontés à des crises inédites, pas ou peu anticipées, et qui sont alors en grande tension. C’est vrai de notre concept de santé publique, totalement dépassé, de notre concept de sécurité intérieure, manifestement inadapté, de notre concept d’environnement, largement sous-évalué. Si, dans ces derniers domaines, on peut invoquer le caractère inédit pour en expliquer les insuffisances, dans celui de la défense où les alarmes ont été nombreuses depuis trente ans, le défaut d’actualisation est inexcusable. La France a perdu la main ou…baissé les bras …

Vendredi 13 novembre - Hier encore, le Président de la République a réuni le Conseil de Défense pour prendre les décisions que nécessite la situation sanitaire, toujours très dégradée dans notre population et, à ce titre, fort inquiétante pour les semaines, peut-être les mois à venir. Je n’ai jamais compris pourquoi le chef de l’Etat utilisait ainsi les facultés de l’article 15 de la Constitution pour élaborer des décisions qui n’ont pas grand rapport avec l’objet de cet article. Celui-ci stipule expressément : « Le Président de la République est chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale ». Voilà qui a peu à voir avec une crise sanitaire, aussi ample soit-elle et destructrice pour les activités économiques et sociales du pays. En réalité, le Président est cohérent avec son premier discours du 14 mars où il avait déclaré la France en guerre contre le virus. Mais il s’agissait d’un abus de langage, qui m’avait autorisé à convoquer Camus et son « malheur du monde » ; il s’agit aujourd’hui d’un détournement de nos institutions. Pourquoi le Conseil de Défense est-il réservé aux affaires militaires ? Pour la raison essentielle du secret. Contrairement à ce qu’on entend dans les médias, le Conseil ne requiert pas le « secret-défense » mais le « très-secret conseil » – je le sais pour en avoir été le gardien pendant quatre ans -, secret qui ne peut être levé avant soixante ans et sur autorisation expresse du Premier ministre. Voilà qui ne correspond en rien à la gestion politique d’une crise qui doit se dérouler, en démocratie, au vu et au su de tous. Quels lourds secrets d’Etat a-t-on agité dans le salon Murat en ce jeudi 12 novembre entre neuf et onze heures du matin ? Abus de langage guerrier, détournement des fonctions de Défense nationale : faisons attention à ne pas galvauder nos institutions et à coller à la réalité. Sinon la République se prendra les pieds dans le tapis rouge qu’elle croit dérouler pour son plus grand défi : vaincre un virus à couronnes épineuses !

Samedi 14 novembre – Ah ! le beau sujet que le populisme, vieux comme la politique qui veut séduire et convaincre le peuple en lui faisant croire qu’il a toujours raison. On voit un peu partout la marée monter, ses eaux boueuses se répandre et polluer nos terres démocratiques prudemment cultivées. Les Américains, pourtant d’ancienne souche démocratique, ont là encore pris un temps d’avance sur leurs petits camarades occidentaux. Et ils nous ont donné ces dernières années une leçon de populisme appliqué, un exercice de travaux pratiques dont ils ont en tous domaines le secret. Pas besoin d’être un expert médiatique pour se rendre compte que le populisme contemporain est le fruit direct de la mondialisation ; celle-ci est dynamique et profite aux entrepreneurs, inventeurs, voyageurs qui en sont les animateurs ; les autres, tous les autres qui constituent la grande majorité des populations en sont les laissés pour compte, marginalisés voire exclus de ce tourbillon mondial. Et ce populisme de déception ne touche que les démocraties, là où le peuple est consulté, où l’expression des opinions et des médias est autorisée ou tolérée. Lorsque le peuple est mécontent et frustré, il se trouve être une proie désignée pour les démagogues, c’est-à-dire pour les bateleurs et les menteurs. Donald Trump en est la figure tutélaire, jusqu’à la caricature.
C’est donc tout simple, le populisme conduit directement à la démagogie et, potentiellement, à la perversion de la démocratie. La démocratie américaine, soi-disant exemplaire, y a succombé et personne ne sait si, quand et comment elle pourra s’en sortir. La maladie est en Europe, pas seulement dans les anciens pays communistes comme la Hongrie et la Pologne, elle menace en Grande-Bretagne, en Italie et on sent bien que la France n’est pas à l’abri de ce vent mauvais qui peut tout emporter. Face au populisme, il faut un Etat fort et des élites responsables qui puissent réactiver le lien ombilical avec la société civile qui est l’organisation du peuple. Vaste programme, aurait dit le Général ! Et on n’en prend pas le chemin vertueux, zigzagant sur une ligne de crête hypothétique entre santé et économie, toujours imprécis et insuffisant pour la première et de plus en plus meurtrier pour la seconde.
Deuxième sujet du jour, fort bien traité dans le quotidien du matin, celui de la toile d’araignée spatiale qui se tisse sur nos têtes et qui, d’ici à quelques années, nous emprisonnera totalement. En nous inondant de « données » innombrables, elle fera progressivement décliner notre libre-arbitre jusqu’à nous passer un licol qui nous guidera dans « le meilleur des mondes ». C’est terrifiant, ces 30 000 satellites de Starlink qu’Elon Musk va lancer prochainement qui vont littéralement enserrer la planète et la mettre « aux ordres ». Il est temps de réagir, non en lui créant un concurrent européen en plus d’un chinois ou d’un autre américain, mais de procéder comme dans les années1930 où, devant le quasi-monopole de la Standart Oil des Rockefeller, le Congrès américain décida son démantèlement en huit entités subsidiaires. L’alliance Musk-Google qui est actée apparaît comme un défi aux gouvernements et à la communauté internationale.
Côté chinois, le Parti a commencé de réagir qui rogne les ailes d’Alibaba et freine son ambition de remplacer …la Banque de Chine, en repoussant sine die l’introduction en bourse de sa division financière ANT qui gère le puissant module de paiement Alipay. Et comme on est en Chine, les luttes de faction ne sont pas loin en fond de tableau. Le prétexte est habile de sanctionner Jack Ma dont les yeux capitalistes sont plus gros que le ventre communiste du Comité Central, et l’Oncle Xi ne veut voir qu’une seule tête dans l’ordre financier pour faire monter le e-yuan comme première monnaie virtuelle au monde. Car, au-delà, Jack Ma est une pièce maîtresse de « l’ancien système », très lié à l’ancien président Jiang Zemin et à sa bande de Shanghai, des réformistes et innovateurs qui gênent la montée du néo-maoïsme enchanteur du président-empereur. Je pense que tous les milliardaires chinois, membres dévoués du Parti, termineront leurs jours en prison, dépouillés de leurs biens nationalisés et démantelés, d’abord pour satisfaire la soif de puissance de Xi, mais aussi pour abreuver le peuple de victimes expiatoires. Coup double donc mais peut-être une balle dans le pied, alertant les actuels et futurs innovateurs et entrepreneurs qu’il vaut mieux pour eux rester prudents ou aller se faire pendre ailleurs…

Dimanche 15 novembre – Je crois n’avoir omis aucun des thèmes qui ont ponctué cette semaine si dense en événements et en commémorations ; ils prêtent bien évidemment à réflexion et je ne m’en suis pas privé. J’ai toutefois mis en sourdine les trois problèmes majeurs de notre époque : la pandémie, le terrorisme et le changement climatique. Ils sont pourtant obsédants et nul doute qu’ils capteront l’essentiel de cette chronique dans les semaines à venir. Sur le front épidémique, notre semi-confinement a continué de dominer l’actualité et de saturer les médias, tant il perturbe la vie de la société. Une bonne nouvelle toutefois : il y eut le 9 novembre – encore une date magique – l’annonce du succès (à 90%) d’un candidat vaccin chez Pfizer. On peut espérer sa diffusion au début de l’an prochain et voir s’éloigner la perspective, qui serait économiquement mortelle et socialement ravageuse, d’un troisième confinement. Sur le front de la menace terroriste, outre l’entretien évoqué donné par les patrons de nos services de renseignements à un média de la presse écrite, j’ai retenu dans la masse des commentaires l’article très juste de Jean-Michel Delacomptée (Le Figaro des 14-15 novembre) dont je voudrais citer l’antépénultième paragraphe : « La France ne dispose pas des moyens militaires, financiers, diplomatiques capables de lui fournir assez de puissance pour exporter avec quelque chance de succès sa vision de la laïcité et sa défense du droit de critiquer les religions. Republier les caricatures (de Charlie Hebdo – NDA) a contribué à faire d’elle une cible fragile. De surcroît, en attisant la haine contre nous, celles-ci ont eu pour effet pervers de restreindre la liberté qu’elles voulaient protéger. Elles ont accentué l’autocensure que produit la terreur, et les contrôles policiers que multiplie la prévention d’attentats. Par là-dessus, elles servent les intérêts des Etats et chefs de guerre acharnés à nous nuire, en renforçant leur pouvoir. Le temps heureux de l’humour potache n’est plus. La géopolitique s’en est emparée… » Qu’un romancier nous donne une leçon de stratégie, voilà qui ne manque pas de saveur et démontre les inversions dont souffre notre temps.

Lundi 16 novembre – Nous entrons à reculons dans la troisième semaine du deuxième confinement. J’espère qu’en 2023 ou 2024 je n’aurai pas à écrire la septième semaine du neuvième confinement…Pourtant les péripéties de la peste noire des XIVe et XVe siècles – un article de l’historien Sylvain Gouggenheim qui vient de me parvenir – montrent bien les résurgences régulières de l’épidémie, tous les dix à vingt ans à partir de son origine – en Chine et en Inde – dans les années 1340. Le siège de Caffa, située sur la mer Noire, par les hordes mongoles en 1346, fut le véritable déclencheur d’une pandémie qui tua plus d’un tiers de la population du bassin méditerranéen. Les assiégés, bombardés par les Mongols à coups de cadavres pestiférés, s’enfuirent en bateau vers Gênes et Marseille qu’ils infectèrent, villes à partir desquelles l’épidémie se répandit comme une traînée de poudre à l’intérieur du continent européen et au-delà des mers sur la côte africaine. Ces vagues épidémiques suivent très exactement les épisodes les plus malheureux de la guerre de Cent ans jusqu’aux années 1430, et ce n’est qu’avec le reflux de celles-là que les Français reprirent l’ascendant et parvinrent à se débarrasser des Anglais. Et ceci corrobore ce que j’affirme avec constance et opiniâtreté : la démographie est la mère de toutes les batailles. Mais la décimation démographique eut une conséquence mal connue et pourtant décisive : elle provoqua la naissance du capitalisme. Moins de population, moins d’héritiers et donc une plus forte concentration des fortunes qui conféra aux survivants une capacité inédite d’investissement, tels furent les éléments qui, avec la révolution scientifique et intellectuelle, donnèrent naissance à ce que les historiens nomment les Temps modernes. Lourde cause et grands effets…
Mais le pire n’est pas sûr ; un deuxième laboratoire américain – Moderna – vient de révéler la réussite à 94,5% de son vaccin du même type que celui de Pfizer, mais conservable dans un réfrigérateur alors que l’autre exige un congélateur à -80°. Sur ce sujet comme sur bien d’autres, la logistique est décisive : la plus géniale invention ne peut répandre ses bienfaits supposés qu’à la condition expresse de pouvoir être traduite dans la réalité et accessible au plus grand nombre ; sinon elle se perd dans les fonds de placards. Deux vaccins – sans négliger la cohorte des suivants chinois, russe et européens -, quelques trois milliards de doses d’ici à l’été 2021, une mobilisation logistique générale : l’épidémie à COVID-19 devrait être maîtrisée puis jugulée dans les six prochains mois. Si cela se réalise, je ne connaîtrai pas le neuvième confinement…
Mon attention a été attirée par les nombreux articles de presse qui saluent la conclusion d’un accord commercial dit RCEP – acronyme anglais pour Partenariat Régional Economique Global – entre quinze pays d’Asie dont la Chine, le Japon, la Corée du sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les dix pays de l’ASEAN. Cet ensemble géographique cohérent comprend un tiers de la population de la planète et produit quelque 30% du PIB mondial. Même si la portée de cet accord commercial est limitée à « un socle de règles simplifiées et de fiscalité allégée » selon les termes de Sébastien Jean, directeur du CEPII, cité par le Monde daté du 17 novembre, il constitue néanmoins une brèche dans le front indo-pacifique que les Occidentaux s’évertuent de constituer pour tenter de freiner les ambitions chinoises. La grande rivale indienne s’est d’ailleurs exclue d’un accord qui la dévalorise face au poids écrasant de l’économie chinoise.
Cette affaire n’est pas nouvelle ; sur initiative de l’ASEAN, elle était négociée depuis une dizaine d’années. Mais elle va rapidement avoir un retentissement considérable. C’est d’abord la troisième zone de libre-échange constituée dans le monde, après l’ALENA en Amérique du Nord et l’Union européenne, toutes trois ayant un poids économique équivalent. Ces entités commerciales dessinent ainsi le trio économique majeur du XXIe siècle, seule l’Union européenne réalisant en même temps une très incertaine unité politique. Mais on voit bien que la région asiatique, débarrassée du COVID alors que ses rivaux européen et américain y sont encore empêtrés, bénéficie d’une dynamique renouvelée et fait la course en tête. Et chacun comprend aussi que, dans cette conjoncture, les chaînes de valeur largement mondialisées, déjà affectées par les tensions épidémiques, vont devoir être encore plus « asiatisées » si les producteurs veulent bénéficier de la franchise douanière promise par l’accord RCEP. Non seulement les velléités de relocalisations nationales qui sont apparues avec la pénurie des matériels médicaux paraissent illusoires2, mais il faudra s’implanter et produire dans la zone asiatique si l’on veut accéder au plus grand marché du monde.
Ce nouveau partenariat est surtout un échec flagrant pour les Etats-Unis. A travers l’ASEAN, c’est Pékin qui est manifestement à la manœuvre. La Chine bénéficie certes de son hyperpuissance économique mais elle profite en outre des circonstances et du vide laissé par les Etats-Unis pour avancer ses pions ; elle ruine ainsi la précédente tentative du Président Obama de concrétiser sa stratégie du « pivot » vers l’Asie en posant les fondations d’un Partenariat Trans-Pacifique que son successeur s’est empressé de dénoncer, laissant les mains libres aux stratèges chinois. Cette perte d’influence est telle que ses grands alliés japonais, sud-coréen et australien se sont rangés dans le camp chinois, se pliant ainsi aux exigences économiques. Il n’est pas impossible que la stratégie d’Obama ait été mal ajustée, mais de là à cette défaite en rase campagne il y avait sans doute place pour des armistices. Trump, tout adversaire déclaré qu’il fut de la Chine, aura été son « ennemi utile » pour ne pas employer un terme plus désobligeant. C’est pour cela que les Chinois le regretteront ; pour ses bévues stratégiques certes, mais aussi pour le déclin démocratique qu’il a orchestré, donnant beau jeu aux dictatures d’exercer impunément leurs forfaits.
Pour rester à proximité de ce sujet, je dois faire amende honorable. Dans mon bloc-notes lors du premier confinement, en évoquant les conséquences de l’épidémie sur l’économie chinoise en avril dernier, j’avais sous-estimé son potentiel de rebond, croyant aussi bien à un ralentissement des exportations qu’à celui de la consommation intérieure. Or, il s’avère, d’une part, que le commerce extérieur est en forte reprise, la Chine ayant accru la production de biens de première nécessité que le reste du monde ne fabrique plus ; d’autre part, que la partie émergée de la population chinoise – la classe moyenne supérieure -, rassurée par la maîtrise de l’épidémie et frustrée de ses dispendieux voyages à l’étranger, s’est remise à consommer et parfois de façon frénétique. Avec pour exemple le double onze (11/11) dite aussi fête des célibataires (double « un ») : les ventes d’Alibaba (exclusivement par Internet et 675 millions de colis livrés) se sont montées, pour cette seule journée, à 74 milliards de dollars, soit un doublement par rapport à 2019 où tous les records avaient déjà été battus. L’économie chinoise, libérée des contraintes sanitaires qui pèsent sur le monde occidental, creuse l’écart avec ses concurrents, accroissant ses parts de marché et tissant sa toile. L’accord de partenariat qui a été signé hier à Hanoi dans sa sphère d’influence est la première avancée notoire sur la néo-« route de la soie », la véritable trame du projet du Président Xi Jinping.

Mercredi 18 novembre - Les sujets de réflexion et de réaction ne manquent pas par ces temps troublés ; j’ai même l’impression que la chienlit est telle que tout est devenu problématique. J’ai donc l’embarras du choix. Je voulais évoquer les feux d’artifice des banlieues qui illuminent nos quartiers tous les soirs, surtout si une patrouille de police ou une voiture de pompiers ose s’aventurer ainsi en « territoire rebelle », mais le sujet de la sécurité globale – sur laquelle le ministère de l’Intérieur vient de publier un Livre blanc avant de présenter une loi éponyme devant le Parlement – est d’une telle gravité qu’il nécessite plus de recul et donc un peu de temps. D’autant que le sujet m’est cher, m’étant très timidement battu il y a bientôt trente ans (un modeste général de brigade !) pour que la France modifie son concept de « défense » très connoté guerre froide en celui, plus global et mieux adapté aux nouvelles circonstances, de « sécurité ». Par conséquent, je le repousse à de meilleurs auspices.
C’est le thème du complotisme qui me mobilise ce soir, non qu’il soit passionnant ou nouveau, mais parce qu’il prend des proportions alarmantes et qu’il convient sans doute, à cet égard, de siffler la fin de la récréation aux cinglés qui s’en repaissent et instillent ce poison lent au cœur de notre société et de sa vie démocratique. L’accroche du thème est fournie par le fastidieux document visuel qui circule sur les réseaux Internet et qui s’intitule prophétiquement Hold Up, mais pas seulement : le Président Barack Obama en fait le leitmotiv des interviews qu’il donne à l’occasion de la publication de ses Mémoires et la philosophe Myriam Revault d’Allonnes en nourrit un des thèmes de son livre La faiblesse du vrai (Seuil, 2020). Je n’ai pas eu le courage d’aller voir de près Hold Up3 mais ce que racontent les médias, à l’appui de longues séquences, me dispense de cette punition. Celles-ci, qui mélangent habilement le vrai et le faux, appuyées soit sur des bases scientifiques soit sur des témoignages de people’s, peuvent semer le doute dans des esprits sectaires et/ou fragiles.
Au départ et depuis toujours, le complotisme provient d’une vision idéologique du monde, le plus souvent négationniste et rousseauiste, qui considère l’Univers et l’Homme comme des entités parfaites voulues comme telles par le Créateur : à tout cela, il faut une « grande explication » ! Cette pureté initiale serait pervertie par les « pécheurs », tout ce petit monde maléfique de financiers, de juifs, de francs-maçons qui exploite la naïveté des hommes pour les assujettir à leur soif de domination. Et aussi, disent-ils, par les scientifiques : quand Copernic puis Galilée démontrent que la terre n’est pas plate comme l’affirme la Bible mais à peu près ronde, ce que Christophe Colomb prouvera à la fin du XVe siècle, ils sont excommuniés et échappent de peu au bûcher de la sorcellerie. Le progrès vient ainsi contredire les lois supposées éternelles dictées à la nature par un Dieu unique et créateur ; et il aura fallu des siècles, jusqu’à Darwin et la théorie de l’évolution puis jusqu’à Einstein et sa loi de la relativité, pour parvenir à une « compréhension » de l’humanité et à une « description » de l’univers, de ses trous noirs et de son expansion.
Lorsque le progrès provoque la croissance et permet à l’humanité de se développer aussi bien par un savoir plus étendu que par des moyens d’existence plus aisés, ces thèses ont peu de prise sur les peuples confrontés à la réalité ; les complotistes et autres conspirationnistes eux-mêmes ne mouftent pas car ils préfèrent le cocon de leurs conditions de vie modernes au charme plus rustique des cavernes de leurs ancêtres. C’est en temps de crise que ce beau monde se réveille, surtout si la crise est grave et paraît mettre en danger nos modes de vie ou, pire, la survie d’une partie de l’humanité. C’est le cas aujourd’hui sur trois fronts au moins, ce qui donne aux amateurs de complot et de fake news un champ de perversion quasiment illimité : le changement climatique qu’on le nie ou qu’on en tire prétexte pour prophétiser la fin du monde vivable, le terrorisme organisé ou – mieux – inspiré à l’échelle mondiale par des détraqués absolus (voir le « roman du 11 septembre » qui aurait été perpétré par les Américains eux-mêmes), et enfin – galette sur le menu – la pandémie à coronavirus répandue à dessein par un laboratoire de recherche maléfique (Wuhan et/ou Pasteur ?) puis entretenue par la plupart des gouvernements du monde de mèche avec les professeurs de médecine pour enrichir les big pharma et mettre les peuples à genoux. Ouf ! Quelle mauvaise intrigue de roman ! Dans le premier cas, ce serait une « revanche de la nature », dans les autres une « punition divine » pour des humains qui auraient trop joué avec la boîte d’allumettes !
Sans faire de la psycho-sociale de bazar, la peur et le doute alimentent les dispositions complotistes ou, plus modestement, la tendance au mensonge. Mais, plus profondément, je pense (avec bien d’autres) que nous sommes entrés dans une ère de la complexité dont nous n’avons pas les clefs4. J’en ai déjà parlé dans le premier bloc-notes, mais j’y reviens tant ce point me paraît fondamental. Nous savons décrire et démêler la complication ; son factoriel est bas, de l’ordre de 3 ou 4, et donc les explications comme les solutions se comptent sur les doigts des deux mains, le maximum praticable selon Napoléon. Jusqu’au milieu du XXe siècle, nous avons vécu dans la complication. Avec la globalisation numérique – qui porte bien son nom -, nous sommes entrés dans une ère nouvelle qui a tous les attributs d’une totale simplification, voire d’une unification du monde, alors que celles-ci ne sont que les déguisements – ou les apparences – de ce que nous appelons « complexité », faute de savoir mieux la nommer. Car ce qui est complexe échappe à l’entendement et, par conséquent, à toute explication qui corresponde à ce que nous attendons, surtout dans l’angoisse et l’inquiétude que suscite la crise. Nous voulons du simple, du rationnel, de l’évident qui soit à la portée de tous. Dès lors, les événements considérables qui surviennent dans un tel environnement, incompréhensibles par les moyens courants, sont rangés par les plus raisonnables dans la case « incertitude » et par tous les autres dans l’irrationnel, le divin, le millénariste, le prophétique et le complotiste. Puisque le vrai – le démontrable, théorème à l’appui – n’est pas perceptible, alors tout se vaut et surtout le n’importe quoi qui ravit les imaginations fertiles, les psychopathes amateurs et tous les inventeurs de mirages qui cherchent à échapper à la bassesse de notre condition dans ces temps d’impuissance. La porte est ainsi ouverte aux rebouteux, gourous, diseuses de bonne aventure et manipulateurs. Aux Etats-Unis, Trump est considéré comme un prophète par certains exaltés, et son infaillibilité ne saurait être mise en concurrence avec quelque élection que ce soit5 ; c’est dire dans quel état de régression se trouve une partie de l’Amérique, mais « pas que » si j’en juge par les papiers proprement délirants que les hasards d’Internet font tomber dans ma boîte mail.
Mais il y a plus grave sur deux points : le premier qui voit les idéologues s’emparer de cette formidable machine de guerre pour exploiter la faille de nos systèmes de pensée, décrédibiliser les dirigeants et rendre nos sociétés ingouvernables ; le second qui, selon Barack Obama, met directement en péril « le marché libre des idées », fondement de la démocratie. Ce que la philosophe Revault d’Allonnes appelle par euphémisme la « post-vérité », c’est – selon le dictionnaire d’Oxford – « lorsque les faits objectifs ont moins d’importance que leur appréhension subjective ». En langage trivial et pour paraphraser Alphonse Allais : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ».

Jeudi 19 novembre – J’ai apprécié la formule de Barack Obama (sur France 2 le 17 novembre) que François Busnel interrogeait sur la fonction de l’écrivain. « Le rôle de l’écrivain, disait-il, est de dire la vérité telle qu’il la voit ». Comme celui du peintre avec la réalité. Ce qui n’empêche pas, au contraire, Rimbaud et Baudelaire dans le premier cas, ni Monet ou Picasso dans le second. Cela peut vouloir dire : avoir une interprétation de la vérité et de la réalité qui reste dans le vrai et dans le réel ; ne pas mentir, ou alors par défaut ou par pudeur, ne pas aller à l’encontre de la vérité et ne pas la dénoncer. Pour tutoyer de loin ce sujet et maltraiter l’ordre des choses, j’avoue toutefois une faiblesse coupable à l’égard des aphorismes ; ceux de Sylvain Tesson retournent les formules toutes faites comme des crêpes, ainsi : « Certains sentiers finissent par se révolter à force d’être battus ». Un troisième degré de potaches en veine de rigolade où excellent toujours certains vieux camarades de notre très ancienne et culottée promotion de Saint-Cyr…
On nous assomme en brandissant en permanence l’opposition liberté/égalité dans le triptyque de notre devise républicaine. Il convient d’abord de clarifier le débat : cette devise, comme toute autre, est une utopie. Elle donne un horizon à la démocratie, qui l’oblige et l’élève au-dessus des contingences. Mais elle n’en demeure pas moins mythique, et il faut l’accepter comme telle, une convergence vertigineuse des trois concepts qui forgent l’humanisme. A lire les élucubrations des intellos de service, le principe de liberté s’opposerait à celui d’égalité. Voyons voir ! Si la liberté est première et pour cela proprement vitale dans l’esprit de « tous » les hommes, sa sphère se réduit singulièrement selon les peuples, les régimes politiques et les niveaux de vie. Nous pouvons protester et hurler à l’atteinte à nos droits les plus sacrés, c’est ainsi. La France de la Révolution a « encadré » la Liberté de deux demi-sœurs, l’Egalité et la Fraternité. Je passe sur la deuxième, pur fantasme ; en dehors de Montaigne avec La Boétie et de rares exceptions, la fraternité n’a pas de réalité, hormis celle des armes, ou, en-deçà, la camaraderie ou, au-delà, l’amitié. Confucius le dit mieux que quiconque lorsqu’il avance que « tous les hommes sont frères », n’oubliant sans doute pas qu’en chinois le « frère » en soi n’a pas de réalité au profit du « frère aîné » et au détriment du « frère cadet ». Et nous ramène donc à l’idée farfelue d’égalité. Il paraît que les Français la préfèrent à celle de liberté ; ils ne seraient prêts à sacrifier une part de leurs libertés qu’à condition qu’il en soit de même pour tous les autres. Mais il me semble que c’est ce qu’on appelle la « loi », ce texte tamponné par les magistrats les plus distingués pour édicter et uniformiser les droits et les devoirs. Ce que je veux dire, c’est que la loi, égalitaire par définition, ampute nos libertés et qu’il n’y a rien à y redire. Sauf, peut-être, quand l’Etat privilégie la loi aux dépens du droit (comme en Chine, dans les dictatures et dans notre état de confinement) et inverse la proposition « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » en état d’exception permanent. La liberté et l’égalité ne s’opposent nullement, elles se corrigent et se complètent. Mais on voit bien les arrière-pensées des extrémistes suicidaires qui préféreraient nous voir ruinés, à condition qu’on le soit tous ensemble.
Les cahots européens secouent encore l’actualité. J’avais applaudi à deux reprises en mai puis en juillet au consentement germanique puis à l’accord des 27 pour un vaste plan de relance communautaire abondé par 750 milliards d’euros. Un investissement massif fondé en grande partie sur la dette que les pays « radins » du nord conditionnaient au respect par tous les bénéficiaires de l’Etat de droit et des principes démocratiques6, ceux-là même qui sont les piliers de la construction européenne. Deux pays dits illibéraux – la Pologne et la Hongrie –, suivis par la Slovénie, ont fait savoir par leurs ambassadeurs à Bruxelles qu’ils refusaient toute conditionnalité et rejetaient de ce fait les termes d’un plan qui suppose l’unanimité des pays membres. Que va-t-on faire ? Les uns parlent de trouver un compromis qui amadouerait les rebelles, pratique habituelle de la Commission, et qui consisterait en fait à fermer les yeux sur les violations répétées des principes démocratiques, concernant notamment l’indépendance de la justice et la liberté de la presse. D’autres, moins diserts, ont toutefois la dent plus dure comme notre Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes qui sous-entend qu’on pourrait sanctionner la Pologne si elle persistait dans son attitude7 ; il est vrai que, dans le plan de relance, Varsovie était inscrite pour plus de vingt-cinq milliards d’euros, somme considérable au regard du budget polonais, et qui pourrait en faire réfléchir plus d’un. Il faut laisser quelques jours à la négociation, mais si celle-ci échoue, ce qui est probable car il en va du régime politique polonais ultra-conservateur, alors l’Europe devra être exemplaire. Les vulnérabilités de l’Union sont telles que si ses dirigeants ne sont pas impitoyables, c’est tout le tissu européen qui se déchirera. Si elle ne rallie pas le pot commun, il faudra punir la Pologne, en l’excluant temporairement ou en la mettant en vacances de l’Union, en la privant des subsides communautaires qui lui ont tant bénéficié depuis son adhésion, en la traînant devant la Cour de Justice européenne, etc., la panoplie des sanctions est suffisamment large pour faire entendre raison à la Pologne aussi arrogante que récalcitrante. On ne peut impunément mordre la main qui vous nourrit ! Après tout, si elle ne veut plus jouer le jeu européen, elle peut retourner à ses frasques qui ont émaillé l’histoire et qui lui ont valu tant de malheurs. On plaint souvent ce pays pris en tenaille entre l’Allemagne et la Russie ; mais a-t-on une conscience exacte de la versatilité et de l’inconstance des Polonais ?

Vendredi 20 novembre – Où qu’on se tourne, on entend ergoter à longueur d’antenne sur l’épidémie, la hausse subite des courbes, le nombre de cas dépistés, l’occupation des lits d’hôpitaux, la quête insatisfaite des lieux de contamination, etc. Si les refrains se ressemblent depuis les premières alarmes du printemps – les ides de mars ? -, en réalité les choses ont bien changé en huit mois. Le confinement lui n’a guère changé, même si l’actuel est moins strict, dans la mesure où la majeure partie des gens travaillent et où les jeunes se rendent dans les établissements scolaires, et il produit après deux ou trois semaines d’application des résultats semblables à ceux que nous connûmes en mai dernier. Ce qui a changé, en réalité, c’est la société toute entière. De mars à septembre, l’épidémie était une parenthèse, un accident de l’histoire ; faute à pas de chance (le cluster évangélique de Mulhouse) ou à l’impréparation de l’administration ou à l’incurie du gouvernement ou au changement climatique ou… au complot des méchants capitalistes…La liste des coupables est sans fin et alimente ainsi le café du commerce, le seul qui ne soit pas fermé ! En novembre, elle prend une autre tournure, elle révèle, elle déchaîne et elle amplifie le faisceau des crises qui, telles les nuées de l’orage, menaçaient d’éclater sur nos têtes. Désormais nous sommes dans l’œil du cyclone et n’en sortirons pas de sitôt, non pas de l’épidémie qui finira par nous lâcher et s’éteindre, naturellement ou avec le secours des vaccins, mais de ce cocktail critique qui nous ronge comme un acide et interdit de revoir le monde presque normal d’hier. Nous étions depuis trente ans – l’ère post-guerre froide terroriste, le fiasco du néolibéralisme et le vide américain – installés, plus ou moins confortablement selon l’héritage économique, dans une crise rampante, peu analysée, mal diagnostiquée et conduite de façon superficielle et chaotique. Le révélateur-accélérateur du COVID-19 met tout ce fatras à nu et nous dedans. La société est aux prises avec le diable, s’en apeure et s’en méfie ; sa cohésion et sa confiance sont atteintes. Le mal est profond et le médecin de famille politique à son chevet est désorienté : pas de diagnostic, pas de remèdes, « le poumon, vous dis-je… ».
Donc c’est grave ! Plusieurs personnalités éminentes y sont allées de leurs analyses ces jours derniers, plus ou moins responsables, plus ou moins expertes, plus ou moins lucides. J’en ai retenu deux, celle – excusez du peu ! – d’Emmanuel Macron, Président de la République, qui donne une (très) longue interview à une équipe de Normaliens du Continent, l’autre, à peine moins longue, qu’Edgar Morin a confiée au Monde daté du 20 novembre. Entre eux, une différence plus que symbolique : un écart de presque soixante ans, plus d’un demi-siècle, quasiment la distance de la terre à la lune. Ce qui les distingue, l’approche méthodique du sociologue, frotté à d’innombrables expériences et aux combats du siècle passé, revenu de tout et finalement rentré au bercail de la sagesse d’où il nous encourage à organiser des « oasis de résistance » ; le discours-programme du politique, fourre-tout intelligent et désordonné, qui fait plusieurs inventaires de notre modernité affligée de bien des maux et qui, à la manière d’un Don Quichotte déguisé en chef d’Etat, affiche son volontarisme en moulinant les concepts et en éperonnant notre rossinante nation qui n’en peut mais.
Avant de discuter leurs propos à l’aune de ma démarche « stratégique », je veux insister sur le caractère bouleversant de cette deuxième phase épidémique. En huit mois, surtout ces dernières semaines, la vie politique, économique et sociale a été littéralement retournée, comme la terre sous un déluge d’artillerie. Nous ne reviendrons jamais à la vie d’avant, celle de janvier 2020 ! Nous nous en rendrons compte tout au long des prochains mois quand des pans entiers de l’industrie, du commerce, des services s’écrouleront faute de trésorerie, faute de clients, faute d’utilité publique. Des portes ont été franchies ces derniers temps qui se sont refermées derrière nous. Ce n’est pas seulement le futur qu’il va falloir inventer, c’est bien le monde qui est à reconstruire. Camus avait raison une fois encore : il fallait empêcher le monde de se défaire. Et nous avons, nous humanité, en tout cas nous Occidentaux, loupé le coche !

Samedi 21 novembre - Je reviens à Edgar Morin (le Monde du 20 novembre). Interrogé sur les caricatures et la liberté d’expression, il donne la réponse mesurée qu’on pouvait attendre d’un sage : la liberté ne se mesure pas, mais il ne faut pas donner des verges pour se faire battre. Mais le discours ne s’arrête pas à ce point focal, il en mesure les conséquences et propose des corrections. Au moment où, le nez sur le guidon des réanimations, on se focalise sur les commerces dits sans doute avec humour « non essentiels », Edgar Morin s’alarme des tyrannies qui nous agressent, le spectre totalitaire djihadiste d’une part et celui de l’encerclement financier d’autre part. D’après lui, ils organisent le clivage de la société française et l’affrontement (verbal pour l’instant) de deux France, l’identitaire d’un côté, l’humaniste d’un autre. Ce serait si simple et si dangereux s’il en était ainsi, une pâle copie des Etats-Désunis d’Amérique. La France politique n’est pas binaire mais au moins ternaire – elle l’a toujours été – car il faut ajouter au clivage proposé par Edgar Morin une France radicale, celle de la lutte des classes et qui n’a rien de commun avec les deux autres sauf quand elle fait volte-face comme en 1942. C’est ce trio qui domine la politique française malgré la parenthèse gaulliste et qui interdit par principe que puisse éclater une guerre civile. Quand Malraux déclarait, péremptoire : « entre les communistes et nous (gaullistes) il n’y a rien », il se trompait lourdement, d’abord parce que ce « rien » était quelque chose, ensuite parce que c’est ce quelque chose qui, le plus souvent, a gouverné et gouverne aujourd’hui la France – ce centre à géométrie variable que Giscard avait crédité de deux Français sur trois. Et le Président Macron joue de ces clivages en déplaçant le curseur en fonction des circonstances ; la sécurité le fait pencher à droite alors que la pandémie réussit à le bloquer à gauche, ce qui alimente les joutes grotesques de nos parlementaires. On pourrait en faire des tonnes sur le sujet, sur les alternances et sur les cohabitations. Pas de guerre civile depuis la Commune de Paris, où les bons républicains – les rad’socs – mirent au pas les royalistes comme les révolutionnaires ; on en est toujours là.
Pour réparer les dégâts ou empêcher qu’ils ne s’aggravent, Edgar Morin sort quelques ficelles de son sac de sociologue ; il veut développer dans l’enseignement ce qu’il appelle l’esprit critique, dont le préliminaire est l’esprit interrogatif, normalement dévolu aux élèves, complété avec l’âge par l’esprit problématiseur : « la vertu essentielle de la Renaissance fut de problématiser le monde, d’où la science, de problématiser Dieu, d’où la philosophie, de problématiser tout jugement d’autorité, d’où l’esprit démocratique ou citoyen ». Le processus de régression dans lequel nous entraînent les crises empêche pour le moment une aussi ambitieuse réforme de la pensée parce que, à mon avis, Edgar Morin s’en tient à la sociologie et ne parvient pas à l’élever au niveau stratégique. Après l’esprit critique et ses deux composantes interrogative et problématique, indispensables pour décortiquer le réel, il faut l’esprit de décision. C’est lui, à l’issue du processus de compréhension, qui tranche et fait bouger les lignes. L’intellectuel ne doit pas être stérile. La réflexion conduit à l’action qui, elle-même, suscite la réflexion, et Lyautey parlait de « réflagir ». C’est dire que nous n’en sortirons pas « uniquement » par des discours, si brillants et englobant soient-ils.

Dimanche 22 novembre – L’entretien fleuve donné au Continent par le Président a toutes les qualités d’une bonne dissertation, encore que, comme correcteur, j’aurais conseillé à l’auteur, s’il veut se faire bien comprendre et avoir une très bonne note, de mieux « articuler » son discours. Le diagnostic est classique, on le trouve dans beaucoup d’articles d’observateurs politiques : l’année 2020 a été jalonnée par deux crises majeures, celle de la pandémie et celle du terrorisme, alors même que le monde était confronté à trois défis tout aussi majeurs, à savoir la changement climatique, les inégalités socio-économiques et la transformation numérique, et ce dans une ambiance de décomposition de la vie internationale, cette communauté des nations qui permettait, en son temps et par la coopération, d’affronter et de résoudre ensemble ces problèmes. A sa place, la confrontation des puissances interdit d’aborder ces questions avec quelque chance de réussite, figeant la situation et donnant libre cours à la diffusion des crises.
Alors, Monsieur le Président, quelles solutions proposez-vous ? « Nous devons avoir deux axes forts : retrouver les voies d’une coopération internationale utile qui évite la guerre mais permet de répondre à nos défis contemporains ; construire une Europe beaucoup plus forte qui puisse peser de sa voix, de sa force, et avec ses principes dans ce cadre refondé ». Et voilà ! Avouez que ce n’est pas compliqué : il suffit de refaire le monde et l’Europe, et tout ira mieux. Qui serait en désaccord avec un tel programme ? Peut-être les Russes, les Turcs, les Chinois, les Américains ; et en Europe, sans doute les Polonais, les Hollandais, les Allemands…Autant je souscris des deux mains aux intentions, autant je reste sceptique quant à leurs débouchés pratiques. Il y a toutefois une proposition qu’il me semble intéressant de retenir car elle peut susciter des vocations : il s’agit de ce que le Président nomme le Consensus de Paris. On connaissait le Consensus de Washington, processus inventé par la Banque mondiale pour contraindre les Etats défaillants à rentrer dans les clous de la bonne gouvernance de l’économie de marché ; on commençait à se familiariser avec le Consensus de Pékin, ce modèle de réussite économique étatique proposé par la Chine à ses partenaires en quête de développement ; et voici qu’apparaît le Consensus de Paris, ouvert à tous les Etats sans restriction, dont le projet serait de dépasser le caractère très économique des deux autres en lui conférant une dimension humaniste, à la fois sociale et morale. On retrouve là les « trois pieds du tabouret » qui me sont chers et qui représentent, chacun avec sa symbolique et ses vertus propres, les trois grands foyers culturels et ensembles économiques du monde, les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine, par ordre décroissant de PIB.
S’agissant du cœur du sujet, à savoir l’Europe, le Président revient et insiste sur l’idée centrale d’autonomie stratégique. On a l’impression, en lisant ce texte, qu’on peut trouver dans ce concept la clef de tous nos problèmes, celle qui confère à la construction européenne une dimension souveraine pour ne plus dépendre ni des GAFA ni des chaînes de production chinoises – un « cloud » et des médicaments européens par exemple -, celle qui ouvre des perspectives d’indépendance sécuritaire – une défense collective et un système de sécurité commun.
Les autres propositions qui ressortent de cet entretien ne s’inscrivent pas nécessairement dans la logique qui est évoquée ci-dessus. Il s’agit d’abord de l’idée de souveraineté westphalienne, baroque à première vue, qui résume les qualités de l’Etat-nation tel qu’il fut inventé par les Européens et dont l’efficacité est remise en cause par la succession et la gravité des crises ; elle exprime la volonté de retrouver le mariage qui fut heureux entre la démocratie (ou souveraineté des peuples) et le pouvoir étatique à travers l’alliance de l’Etat et de la Nation. On notera ensuite l’insistance à souligner les liens entre l’Afrique et l’Europe, non plus en termes habituels de coopération, mais en rappel d’une communauté de destin, la démographie venant en finale un peu tardive justifier son caractère de nécessité.
Si le Président avait été conseillé par un stratège, sans doute aurait-il modifié l’ordre des facteurs, la démographie et la géopolitique africaine prenant alors leur place prépondérante dans un projet de renégociation des institutions internationales. Si tous les arguments essentiels sont en bonne place dans ce discours, je pense que pour son impact intellectuel il eut été plus efficace d’utiliser la méthode des trois cercles utilisée dans les années 1970-1980 pour définir nos intérêts vitaux. Dissuasion oblige, on partait alors de l’hexagone et de ses territoires d’outremer qui constituaient le premier cercle existentiel ; on élargissait ensuite au cercle européen au sens géographique, y compris ses marches et voies d’accès, considéré comme vital ; on s’éloignait encore vers un troisième cercle incluant les pays et les zones avec lesquels la France entretenait des liens particuliers ou avait des intérêts importants, comme l’Afrique. Globalisation oblige aujourd’hui, j’estime qu’il faut faire le chemin inverse : partir du mondial pour parvenir à l’hexagonal puisque, comme l’écrit le Président, la nature et la taille des défis qui se posent à nous sont telles qu’aucun pays, si puissant et autonome se croit-il, n’est en capacité de les surmonter et encore moins de les résoudre seul. Mais, si on ne peut qu’applaudir une telle lucidité politique et approuver ces propositions volontaristes, le problème demeure d’en convaincre les grands acteurs de la scène internationale ainsi que nos partenaires européens. Et là, franchement, on ne peut être assuré que la vision intellectuelle de notre président soit partagée par la cohorte national-populiste que constitue un grand nombre des chefs d’Etat actuellement aux manettes du pouvoir.

1 En me relisant deux semaines plus tard, Hubert Germain reste le dernier compagnon, Daniel Cordier, l’ancien secrétaire de Jean Moulin, étant décédé le 20 novembre.
2 Bercy se félicite d’engagements de relocalisations à hauteur de 650 millions d’euros…
3 Le Covid-19 ne serait guère plus qu’une « grippette », les mesures sanitaires prises depuis le printemps n’auraient aucun sens et les citoyens du monde entier se seraient fait berner par une élite corrompue. Voilà, à gros traits, ce que prétend dévoiler le documentaire Hold-up, retour sur un chaos (disponible en version payante en ligne depuis mercredi 11 novembre), réalisé par Pierre Barnérias (extrait du Monde du 18 novembre).
4 « Soleil ! Soleil ! Je suis sûr que vous aimerez la clarté après laquelle nous courons tous et qui ordonne la complexité du monde ». Jean Moulin à Daniel Cordier.
5 Pour illustrer ce phénomène, une avocate trumpiste, a déclaré cette semaine : « la présidentielle a été placée sous l’influence massive de l’argent communiste venu du Vénézuela, de Cuba et probablement de Chine ». Assurant que Trump a été réélu par « un raz-de-marée », elle a mis en cause un système de comptabilisation des votes – Dominion – présenté comme «conçu par Hugo Chavez pour ne jamais perdre d’élection ». Plus c’est gros…
6 Le règlement sur l’Etat de droit prévoit de sanctionner un pays dont les prises de distance avec l’indépendance de la justice et les valeurs démocratiques compromettraient le bon usage des fonds européens.
7 En dernier ressort, a déclaré le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, les Européens pourraient se pencher sur les moyens « d’avancer sans les pays qui bloquent ». Ce qui reviendrait à les exclure du plan. Une option qui, à ce stade, sert essentiellement d’épouvantail, tant elle serait lourde dans sa mise en œuvre et, plus encore, dans ses conséquences politiques. (In Les Echos du 19 novembre)