« Le retour du combat de haute intensité », tel est l’intitulé du dossier rédigé et publié par le G2S, groupe de généraux en retraite qui, encore proches de l’état-major, disposent d’informations techniques récentes. En l’occurrence, ce dossier se veut être une somme de réflexions sur les évolutions et perspectives des futurs conflits. Ces officiers généraux s’inquiètent donc du retour possible du combat dit de « haute intensité », ce niveau conflictuel étant, à leurs yeux, un marqueur de la guerre, une sorte de déterminant qui ferait passer la guerre au-delà d’un seuil, celui de l’intensité. Sans doute ont-ils adopté cette formule par anti-phrase et par contraste avec ce qu’on a appelé les conflits de basse intensité, ces « petites guerres » ou guerres en dentelle du XVIIIe siècle et, plus récemment, des conflits périphériques et lointains où, faute d’armes et/ou de combattants, il ne se passait pas grand-chose ou, alors, de façon sporadique et avec des pertes humaines limitées ; on y invoquait le slogan inconvenant de « zéro mort » comme pour exorciser ce que la guerre avait de scandaleux (selon les médias) : le risque pour le soldat d’y mourir. Lire la suite
Archives pour la catégorie Lettre ACTUEL
ACTUEL 58 – La logique des empires
et la possibilité d’une Europe
Derrière l’écran de fumée des événements internationaux, la vie du monde n’obéit pas seulement aux rapports de forces immédiats : elle est aussi animée par des arrière-pensées. En réponse à tous ceux qui prétendent sans en rien savoir que le « monde d’après » ressemblera à celui d’hier, ce qui a toujours été démenti dans le passé, il faut interroger l’histoire, ses sources et ses invariants, comme la très longue mémoire des peuples, leurs intérêts permanents et leurs obsessions pluriséculaires pour mettre en valeur les lignes de force des bouleversements en cours. Ceux des profondeurs ne se révèlent pas nécessairement par la houle en surface, mais la force et la nature des phénomènes en cours depuis vingt ans conduisent à penser que nous sommes les spectateurs/acteurs d’un changement de paradigme comme on en observe un tous les cent ou deux cents ans1. Lire la suite
ACTUEL 57 – La Chine et le Monde
essai de compréhension
L’air des relations entre la Chine et une grande partie du monde se rafraîchissait depuis plusieurs années, mais la crise du coronavirus a entraîné un refroidissement sensible. C’est tout à fait surprenant de la part d’un pays aussi engagé sur les cinq continents et aussi dépendant du monde, proclamant fortement son multilatéralisme, alors que la communauté des 193 Etats, tous plus ou moins touchés par cette pandémie, aurait besoin d’entraide et de solidarité. A cet instant historique crucial, la Chine fait comme si cette catastrophe n’était pour elle qu’une opportunité, exploitant à fond la dualité du « weiti », ce mot chinois qui signifie crise en associant deux caractères, celui de danger et celui justement d’opportunité. On aurait aussi pu l’espérer plus discrète alors que, si l’épidémie est née chez elle de façon qu’on veut croire fortuite, ce sont ses atermoiements et ses défaillances qui ont permis qu’elle s’échappe et infecte le monde entier. La responsabilité de la Chine est donc manifeste mais elle la rejette avec vigueur comme s’il lui était impossible d’accepter la réalité et de la regarder en face. Lire la suite
ACTUEL 56 – Crise sanitaire et guerre antivirale
Ainsi la guerre est-elle déclarée à cet insolent coronavirus qui perturbe nos vies, sociales et économiques, et met en cause nos libertés. On permettra donc au « stratégiste », même s’il est marginalisé en l’occurrence, de joindre son analyse aux expertises qui font chorus dans les médias. Sans vouloir en quoi que ce soit polémiquer sur l’emploi d’un vocabulaire guerrier pour tenter de faire prendre conscience aux Français, volontiers désinvoltes, de la gravité de la situation sanitaire, il me semble toutefois que ce choix est inapproprié, non seulement parce qu’il est décalé mais surtout parce qu’il pourrait s’avérer dangereux. La guerre est un « état d’exception » dont nous avons oublié l’extrême gravité et la banaliser ainsi à l’occasion d’une « crise » sanitaire aussi sérieuse soit-elle est un abus de langage que nous devrions éviter. On invoque ad nauseam la célèbre phrase de Camus sur les erreurs de dénomination : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Certes, mais ne faisons pas pire en risquant de tromper les hommes ! Notre vocabulaire ne manque pourtant pas des richesses sémantiques qui permettraient de signifier les choses et les situations ; et, si nous y réfléchissions sérieusement, nous serions sans peine capables de mieux définir cette crise. Mais l’époque pousse aux exagérations et nous avons tellement tendu la corde que plus rien ne vaut ; il faudrait alors aller aux extrêmes pour sembler dire la réalités des choses.
ACTUEL 55 – La révolte des classes moyennes
J’avais tenté, dans le précédent ACTUEL, de décrypter la déstabilisation en cours de l’ordre international hérité de l’après-guerre mondiale, en y analysant le jeu de puissances plus soucieuses de leurs intérêts impériaux que du sort de la communauté internationale. A la réflexion et à l’observation des divers événements, il apparaît que ce phénomène de désagrégation est aussi bien le reflet des dysfonctionnements internes des sociétés que l’expression de la volonté de puissance de leurs dirigeants. C’est donc à cet exercice que je vais me livrer ici : comment le désordre du monde provient-il au moins en partie du mécontentement des peuples et de ce qu’on appelle la révolte des classes moyennes ? Lire la suite