Saint-Simon, 2014
Conclusion (extraits, pages 291 à 314)
« Les civilisations sont des systèmes extrêmement complexes composés de très nombreux éléments qui interagissent et s’organisent de manière asymétrique : leur enchevêtrement ressemble davantage à une termitière de Namibie qu’à une pyramide d’Egypte. Ces systèmes fonctionnent entre ordre et désordre, « au bord du chaos »…Ils peuvent sembler fonctionner de manière stable pendant un temps, en état d’équilibre apparent, alors qu’ils sont constamment en train de s’adapter. Puis vient un moment où ils atteignent un « état critique ». Une petite perturbation peut alors déclencher une « phase de transition » allant d’un équilibre paisible à la crise. Un seul grain de sable supplémentaire, et un château de sable en apparence solide peut s’écrouler. […]
Les structures politiques et économiques des humains partagent de nombreux traits des systèmes complexes…Une économie complexe se caractérise par l’interaction d’agents dispersés, l’absence de contrôle centralisé, plusieurs niveaux d’organisation, une adaptation continue, la création incessante de nouveaux marchés de niche et l’absence d’équilibre général. En contradiction avec la prédiction centrale de l’économie classique qui veut que la concurrence provoque une diminution des rendements, les rendements croissants sont parfaitement possibles en économie complexe. De ce point de vue, la Silicon Valley et Internet sont des économies complexes. La crise financière de 2007 a procédé de la même manière. […]
Que l’incidence d’une guerre soit aussi imprévisible que celle des incendies de forêts bouscule toute théorie de l’essor et du déclin de civilisations étant donné le rôle que jouent les guerre dans l’histoire des organisations sociales complexes. Celles-ci sont des réseaux adaptatifs de relations économiques, sociales et politiques dynamiques, et ce qu’elle qu’en soit l’autorité centrale. C’est pourquoi les civilisations de tous genres et de toutes tailles partagent plusieurs des caractéristiques des systèmes complexes du monde naturel, dont notamment la tendance à passer subitement de la stabilité à l’instabilité.
La civilisation occidentale sous sa première forme – l’Empire romain – n’a pas décliné et sombré dans le calme. Elle s’est effondrée en l’espace d’une génération, précipitée dans le chaos par les invasions barbares du début du Ve siècle. […] En 1530, les Incas contrôlaient tout ce qu’ils voyaient de leurs cités des hauts plateaux andins. En à peine une décennie, des envahisseurs étrangers avec leurs chevaux, leur poudre à canon et leurs maladies mortelles ont réduit leur empire en miettes. En Chine, le règne des Ming s’est aussi disloqué à une vitesse extraordinaire au milieu du XVe siècle. Là encore, la transition entre équilibre et anarchie prit moins d’une décennie. De la même façon, la monarchie des Bourbons en France est passée du triomphe à la Terreur avec une rapidité étonnante. L’intervention française auprès des rebelles nord-américains contestant la domination britannique semble judicieuse dans les années 1770, mais elle fragilise les finances du pays. La convocation des états généraux en mai 1789 déclenche une chaîne de réactions politiques et un effondrement de la légitimité royale si rapide que dans les quatre ans qui suivent, le roi est décapité à la guillotine, inventée seulement en 1791. Quand les Jeunes Turcs prennent le pouvoir en 1908, l’Empire ottoman semble encore amendable. Il disparaît en 1922, lorsque le dernier sultan quitte Istanbul à bord d’un navire de guerre britannique. En 1942, juste après Pearl Harbour, l’empire du Japon repousse au plus loin ses limites géographiques. En 1945, il disparaît à son tour.
Le soleil s’est couché sur l’Empire britannique tout aussi soudainement. En février 1945, sur l’estrade mondiale de Yalta, le Premier ministre Winston Churchill est, avec le Président des Etats-Unis Franklin Roosevelt et le leader soviétique Joseph Staline, l’un des « Trois Grands » qui décident du sort des nations. La guerre à peine terminée, il est évincé. En douze ans, le Royaume-Uni concède l’indépendance à la Birmanie, à l’Egypte, au Ghana, à l’Inde, à Israël, à la Jordanie, à la Malaisie, au Pakistan, à Ceylan et au Soudan. En 1956, la crise de Suez scelle la fin de l’empire en mettant en évidence l’impossibilité pour le Royaume-Uni de défier les Etats-Unis au Moyen-Orient. Bien qu’il faille attendre les années 1960 pour que le « vent du changement » de Harold Macmillan souffle sur l’Afrique subsaharienne et les restes de l’empire colonial à l’est du canal de Suez, l’hégémonie britannique s’est bel et bien éteinte un peu plus d’une dizaine d’années après la victoire sur l’Allemagne et le Japon.
L’exemple le plus récent d’un déclin précipité est bien sûr l’effondrement de l’URSS. Avec le recul, les historiens ont repéré plusieurs indices de pourrissement intérieur durant l’ère Brejnev et même avant, mais les prix élevés du pétrole dans les années 1970 auraient permis d’« éviter l’Apocalypse ». A ceci près qu’on ne s’en rendit pas compte à l’époque. En mars 1985, lorsque Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du Parti communiste soviétique, la CIA estimait (à tort) que l’économie soviétique représentait environ 60 % de celle des Etats-Unis. L’arsenal nucléaire soviétique était plus fourni que l’américain. Certains gouvernements de ce qu’on appelait alors le Tiers monde, du Vietnam au Nicaragua, étaient dans l’orbite soviétique depuis vingt ans. Pourtant, moins de cinq ans après que Gorbatchev eut accédé au pouvoir, la domination soviétique sur l’Europe centrale et orientale s’était volatilisée, suivie ensuite par l’URSS elle-même en 1991. Si un empire est bien tombé de la falaise au lieu d’emprunter la descente en lacets, c’est bien celui fondé par Lénine.
Quels enseignements peut-on tirer de ce qui précède pour envisager la situation de la civilisation occidentale aujourd’hui ? Rappelons-nous d’abord comment l’Occident en est venu à dominer le monde à partir du XVIe siècle.
Des recherches récentes remettent en cause l’idée que la Chine était économiquement au niveau de l’Occident jusqu’aux années 1800.De fait, la production par tête stagnait sous les Ming et était bien inférieure à celle de l’Angleterre préindustrielle. La Chine était encore une économie agricole dont 90 % du PIB – soit un taux bien plus élevé qu’en Grande-Bretagne – provenait de cultures peu productives. De plus, après 1520, le taux d’épargne y fut négatif un siècle durant. Il n’y avait pas d’accumulation du capital à la fin du règne des Ming… La « grande divergence » entre l’Orient et l’Occident a commencé bien plus tôt. L’économiste Angus Maddison semble avoir été trop optimiste en affirmant qu’en 1700, le Chinois moyen vivait un peu mieux que son homologue d’Amérique du Nord. Il était plus près de la vérité quand il estimait qu’en 1600, le PIB par tête britannique était déjà de 60 % supérieur à celui de la Chine.
La production et la population en Chine ont ensuite crû au même rythme, ce qui entraîna une stagnation du revenu par habitant, tandis que le monde anglophone, suivi de près par l’Europe du Nord-ouest, prenait la tête. En 1820, le PIB par habitant des Etats-Unis était le double de celui de la Chine ; en 1870, il était près de cinq fois supérieur ; en 1913, près de dix fois. En dépit de la crise des années 1930, les Etats-Unis ne connurent pas les calamités subies par la Chine au XXe siècle : révolution, guerre civile, invasion japonaise, révolution encore, famine autoproduite et nouvelle révolution (« culturelle » cette fois). En 1968, l’Américain moyen était trente-cinq fois plus riche que son homologue chinois en parité de pouvoir d’achat, et soixante-dix fois plus en dollars courants. […]
Pourquoi l’Occident a-t-il dominé l’Orient et non l’inverse ? L’Occident avait développé six « applis fatales » qui ont manqué au reste du monde :
1/ La concurrence : l’Europe était politiquement fragmentée et plusieurs entités se concurrençaient au sein de chaque monarchie ou république ;
2/ La révolution scientifique : toutes les découvertes majeures du XVIIe siècle en mathématiques, astronomie, physique, chimie et biologie ont été faite en Europe occidentale ;
3/ La règle de droit et le gouvernement représentatif : un ordre politique et social optimal a émergé dans le monde anglophone, fondé sur le droit de propriété et la représentation des propriétaires fonciers au sein d’assemblées législatives élues ;
4/ La médecine moderne : presque toutes les découvertes majeures des XIXe et XXe siècles dans le domaine de la santé, y compris ce qui concerne les maladies tropicales, ont été faites par des Européens et des Nord-Américains ;
5/ La société de consommation : la révolution industrielle eut lieu là où il y avait à la fois une offre de technologies productivistes et une demande pour davantage de biens meilleur marché et de meilleure qualité, à commencer par les vêtements de coton ;
6/ Une éthique du travail : les Occidentaux ont été les premiers au monde à associer un travail plus extensif et plus intensif à des taux d’épargne supérieurs, permettant une accumulation soutenue du capital.
Ces six « applis fatales » ont été essentielles à la domination de l’Occident. L’histoire contemporaine, que l’on peut faire remonter au règne de l’empereur Meiji au Japon (1867-1912), veut que le reste du monde se soit mis à les « télécharger ». Cela n’a pas été sans heurts. Les Japonais n’ayant pas la moindre idée de ce qui était essentiel, ils copièrent tout, des vêtements aux coiffures, en passant par la colonisation de peuples étrangers. Malheureusement pour eux, ils entreprirent de construire un empire au moment même où les coûts de l’impérialisme commençaient à en excéder les bénéfices. D’autres puissances asiatiques – l’Inde notamment – perdirent des décennies en croyant que les institutions socialistes promues par l’URSS étaient supérieures à celles des Etats-Unis, fondées sur le marché. Cependant, à partir du début des années 1950, un groupe de plus en plus important de pays d’Asie du Sud-est suivit le Japon dans son imitation du modèle occidental, en commençant par le textile et l’acier pour ensuite remonter la chaîne de valeur. Le téléchargement des applications occidentales se faisait désormais de façon plus sélective….Aujourd’hui, le Forum économique mondial classe Singapour troisième en termes de compétitivité. Hong-Kong est 11e, suivie de Taïwan, de la Corée du Sud et de la Chine. C’est l’ordre dans lequel ces pays ont occidentalisé leur économie.
Actuellement, le PIB chinois par habitant représente 19 % de celui des Etats-Unis, contre 4 % il y a trente ans… Hong-Kong, le Japon et Singapour étaient à ce niveau en 1950…Le PIB par habitant de Singapour est actuellement de 21 % supérieur à celui des Etats-Unis, celui de Hong-Kong est équivalent, ceux du Japon et de Taïwan inférieurs d’environ 25 %….Qui oserait parier que la Chine ne suivra pas la même trajectoire au cours des décennies à venir ?
[…] En 1950, l’Occident… représentait 20 % de la population mondiale. En 2050, selon l’ONU, il ne comptera plus que pour 10 %. Les données fournies par Huntington dans le Choc des civilisations pointent un déclin de l’Occident dans bien d’autres domaines : linguistique (recul de 3 % entre 1958 et 1992) ; religieux (un point entre 1970 et 2000) ; territorial (légère baisse entre 1971 et 1993) ; démographique (baisse de 3 points depuis 1971) ; économique (PIB en recul de 4 points entre 1970 et 1992) ; et militaire (baisse de 6 points entre 1970 et 1991). Dans la plupart des cas, ce déclin relatif est encore plus marqué si on le mesure depuis 1913 ou 1938.
On doit donc comprendre la crise financière de 2007 comme étant l’accélérateur d’une tendance au déclin déjà bien installée. Trois facteurs expliquent qu’on ait pu éviter une nouvelle crise des années 1930. D’abord, l’énorme expansion du crédit bancaire en Chine a tempéré les effets de l’effondrement des exportations vers l’Occident. Ensuite, le président de la FED a organisé une expansion massive de la base monétaire américaine. Enfin, quasiment tous les Etats développés ont creusé leurs déficits budgétaires, à commencer par les Etats-Unis qui ont emprunté 9 % de plus qu’ils ne produisent trois ans de suite…La crise financière s’est ajoutée à un problème structurel d’accumulation de dettes.
Il importe de se souvenir que la plupart des effondrements de civilisations sont autant associés à des crises budgétaires qu’à des guerres. Ainsi l’Espagne au XVIe siècle…De même, la France au XVIIIe siècle… Ou encore, la Turquie ottomane au XIXe siècle… Enfin, la Grande-Bretagne au XXe siècle…
[…] Le basculement du centre de gravité du monde de l’Occident vers l’Orient entraînera-t-il forcément un conflit ? Samuel Huntington prédisait que le XXIe siècle serait marqué par un « choc des civilisations » entre l’Occident, un Orient sinisé, un Moyen-Orient musulman et peut-être la civilisation orthodoxe de l’ancien Empire russe…Cette prédiction a soulevé de nombreuses objections…Elle semble néanmoins mieux décrire le monde de l’après-guerre froide que les théories concurrentes écartées par Huntington : l’avènement d’un monde « unifié » post-historique (ou néoconservateur) sous le leadership américain, un monde libre de près de deux cents Etats-nations ou encore une simple « apolarité », qu’on appelle aussi le chaos.
Pourtant, si Huntington prétendait que « les conflits entre groupes de civilisations différentes seraient plus fréquents, plus soutenus et plus violents que les conflits entre groupes d’une même civilisation », cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Les guerres inter-civilisationnelles n’ont pas augmenté depuis la fin de la guerre froide, et il ne semble pas qu’elles durent plus longtemps que les autres. La plupart des guerres de ces deux dernières décennies ont été des guerres civiles, et les guerres du nouveau désordre mondial ont plus souvent été menées entre groupes ethniques d’une même civilisation. Précisément, des trente conflits armés encore en cours (2005), neuf seulement pourraient correspondre à une guerre entre civilisations, dans le sens où l’un des belligérants était à majorité musulmane et l’autre non. Dix-neuf étaient essentiellement ethniques, les pires étant ceux qui continuent d’affliger l’Afrique centrale, suivis de près par ceux du Moyen-Orient où la grande majorité des victimes sont des musulmans tués par d’autres musulmans…L’avenir semble donc plutôt porteur de nombreuses guerres locales que d’un affrontement mondial des civilisations, ces tendances centrifuges pouvant éventuellement conduire au déchirement des civilisations identifiées par Huntington. En bref, plutôt qu’un « clash des civilisations », on pourrait prédire un « crash des civilisations ».
[…] La civilisation occidentale, lorsqu’elle était incarnée par des royaumes et des républiques européens, a détruit ou soumis la plupart des autres civilisations du monde à partir de 1500. Elle y est cependant parvenue avec un minimum de conflits directs, en comparaison du moins avec le nombre de guerres que les puissances occidentales se sont livrées entre elles. La stagnation économique de la Chine et sa marginalisation géopolitique ne furent pas les conséquences de guerres de l’opium, mais d’une longue sclérose intérieure liée au système agricole et au régime impérial en vigueur en Extrême-Orient. Le retrait de l’Empire ottoman du continent européen et son déclin de l’état de grande puissance à celui d’« homme malade » de l’Europe ne fut que superficiellement dû à ses défaites militaires ; mais les défaites, elles, étaient dues à ses échecs répétés à s’engager dans la révolution scientifique. Il n’y a pas eu de grand choc entre les civilisations d’Amérique du Nord et du Sud ; la première possédait simplement de meilleures institutions que la seconde et obtint rapidement les moyens d’intervenir à volonté dans ses affaires. De même, les guerres menées en Afrique par les empires européens étaient mineures au regard de celles qu’ils se sont livrées les uns aux autres en Europe.
[…] C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’essor actuel de la Chine. En dépit de la volonté réitérée par celle-ci d’en rester à un « essor pacifique », certains commentateurs détectent déjà les premiers signes d’un choc civilisationnel à la Huntington. A la fin de l’année 2010, la reprise de l’assouplissement monétaire (QE) par la FED a pu amorcer une guerre des devises entre les Etats-Unis et la Chine…La véritable guerre monétaire oppose la « Chinamérique » – les économies chinoise et américaine imbriquées – et le reste du monde. Si les Etats-Unis font marcher la planche à billets tandis que la Chine indexe sa devise sur le dollar, les deux pays en profitent… La Chinamérique a sans doute vécu son temps ; ce mariage entre la cigale et la fourmi montre déjà tous les signes de son échec… La symbiose profite désormais davantage au créancier qu’au débiteur, et les Chinois peuvent réduire leur dépendance aux exportations subventionnées et à l’accumulation de réserves en dollars. Pour la Chine, il s’agit de retrouver sa place d’empire du Milieu et d’Etat dominant de la région Asie-Pacifique, selon une stratégie que, en paraphrasant le style Mao, l’on pourrait résumer comme les « Quatre Plus » : consommer plus, importer plus, investir plus à l’étranger, innover plus. Chacun de ces changements de stratégie économique procure à la Chine de confortables dividendes géopolitiques…
[…] Qu’est-ce qui pourrait mal tourner pour le dragon chinois émergent ? Les pessimistes émettent au moins quatre hypothèses. La première est qu’on a appliqué au Japon les mêmes courbes d’ascension inexorable : lui aussi devait dépasser les Etats-Unis et devenir la nouvelle superpuissance économique mondiale. La Chine pourrait donc un jour connaître le sort du Japon après 1989. Précisément parce que son système politique et économique n’est pas véritablement concurrentiel, une bulle boursière ou immobilière puis un krach pourraient lester le pays de banques zombies, d’une croissance nulle et d’une déflation – le sort du Japon depuis près de deux décennies… La deuxième hypothèse est que la Chine succombe à des désordres sociaux, comme cela lui est si souvent arrivé par le passé. Le pays est encore pauvre : il compte 150 millions d’habitants, soit près du dixième de sa population, avec l’équivalent de 1,5 dollar par jour ou moins. Les inégalités ont crû fortement avec les réformes économiques… On estime que 0,4 % des foyers chinois détiennent 70 % de la richesse du pays. Ajoutons à ces disparités économiques des problèmes chroniques de pollution de l’air, d l’eau et des sols, et on ne s’étonnera pas que les régions rurales les plus pauvres de la Chine centrale soient sujettes à des explosions protestataires… Un troisième scénario plausible serait que la classe moyenne émergente exige d’avoir davantage son mot à dire en politique. La Chine était autrefois une société rurale. En 1990, trois Chinois sur quatre vivaient à la campagne. Aujourd’hui, 45 % d’entre eux sont citadins, et ils pourraient être 70 % en 2030… Enfin, le quatrième danger serait que la Chine inquiète tant ses voisins qu’ils en viennent à former une coalition d’équilibre conduite par de Etats-Unis devenus plus réalistes. L’Asie ne manque en effet pas de ressentiment devant la manière dont la Chine bouscule ses voisins en ce moment…
…Le dilemme posé par la « puissance qui vient » à « la puissance qui s’en va » est toujours angoissant…L’Amérique doit-elle chercher à contenir la Chine ? Ou à la tranquilliser ?…Aujourd’hui, nous sommes en train de vivre la fin de cinq cents ans de domination occidentale. Cette fois, le concurrent oriental existe bel et bien, économiquement et géopolitiquement. Il est encore trop tôt pour que les Chinois se proclament les « maîtres ». Mais ils ne sont déjà plus des apprentis. Pour autant, le conflit de civilisations à la Huntington apparaît comme une perspective lointaine. Il est plus probable que nous assistions à un basculement du type de celui qui a profité à l’Occident au cours des cinq derniers siècles. Une civilisation s’affaiblit tandis qu’une autre se renforce. La vraie question n’est pas de savoir si les deux s’affronteront, mais si la plus faible ira jusqu’à s’effondrer.
[…] Que peut-on faire pour éviter cette calamité à la civilisation occidentale ? D’abord, ne pas céder au fatalisme. Certes, l’Occident n’a plus le monopole de ce qui lui a permis de s’émanciper du reste du monde…Mais cela signifie que les modes opératoires occidentaux ne déclinent pas ; bien au contraire, ils prospèrent presque partout, à l’exception de quelques poches de résistance. Un nombre croissant d’habitants du monde dorment,… travaillent,…mangent,…voyagent comme des Occidentaux. De plus, la civilisation occidentale ne se réduit pas à une brique, c’est un ensemble….
Le « package » occidental paraît offrir aux sociétés humaines la meilleure combinaison d’institutions économiques, sociales et politiques disponible, celle qui est la plus susceptible de libérer la créativité individuelle qui permettra de résoudre les problèmes que le XXIe siècle doit affronter…. Quels textes fondateurs de la civilisation occidentale renforceraient notre confiance dans le pouvoir quasi illimité de l’homme libre ? Savons-nous encore les enseigner ?… Ce n’est peut-être pas l’essor de la Chine ou de l’islam, ni les émissions de CO2 qui nous menacent le plus, mais notre père de foi dans la civilisation que nous avons héritée, de nos ancêtres….Aujourd’hui comme hier, ce ne sont pas les autres civilisations qui menacent le plus la civilisation occidentale, mais notre propre pusillanimité et l’ignorance de l’histoire qui la nourrit. »