Ces derniers temps, la création d’une « Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures » a attiré l’attention des médias internationaux. Non pas parce que cette banque annonce l’arrivée d’une nouvelle époque, mais parce qu’en dépit de l’opposition des Etats-Unis, leurs alliés européens et asiatiques ont vite fait de rejoindre cette initiative lancée par la Chine. Est-ce un signe du déclin des Etats-Unis qui n’ont plus le dernier mot sur leurs alliés ? En tous cas, c’est l’alerte donnée par Larry Summers, ancien ministre américain des Finances et ancien conseiller économique du Président Obama, qui critique la position d’un gouvernement américain incapable de fournir des biens publics internationaux, et pour offrir cette opportunité à la Chine.
Officiellement, la Chine a lancé son initiative de créer une Banque d’investissement dans les infrastructures en 2014 et une vingtaine de pays asiatiques y ont aussitôt répondu positivement. En octobre, ils ont donc signé un protocole d’intention et fixé la fin du mois de mars 2015 comme date limite d’adhésion à cette banque comme membres fondateurs.
L’attitude des pays asiatiques à l’égard de la création d’une nouvelle banque reflète bien les besoins énormes des pays asiatiques en investissements dans les infrastructures. En effet, on était conscient de l’émergence de l’Asie dans l’économie mondiale depuis la fin du siècle dernier, au point de parler du XXIe siècle comme un siècle asiatique. Alors que pour maintenir le rythme de la croissance économique en Asie, beaucoup de pays asiatiques ont rencontré un goulot d’étranglement à cause de l’insuffisance de leurs infrastructures. On estime le besoin d’investissement dans les infrastructures en Asie à plus de 8 000 milliards de dollars dans les dix ans à venir, soit une moyenne de 750 milliards par an. Le système financier régional et mondial actuel, – Banque du développement asiatique et Banque mondiale (BM) – n’y pourrait pas grand chose, parce que la Banque du développement asiatique ne peut délivrer que 13 milliards de dollars de crédit par an, et qu’elle a par ailleurs beaucoup d’autres objectifs, comme la réduction de la pauvreté par exemple. De même pour la BM.
Il faut dire que le fonctionnement de la Banque de développement asiatique comme celui de la BM ou du FMI est d’une certaine manière désuet, car il ne répond plus aux besoins de nouvelles économies émergentes, et ne reflète plus l’économie mondiale d’aujourd’hui. Prenons le cas de la Banque de développement asiatique : le droit de vote de la Chine au sein de cette banque n’est que le tiers du Japon, alors que l’économie chinoise est déjà le double du Japon. Même si le Congrès américain approuvait la motion d’amendement au FMI, le droit de vote chinois n’arriverait qu’au tiers des Etats-Unis, alors que selon la parité de pouvoir d’achat calculée par le FMI et la BM, la Chine en termes de PIB aurait dépassé les Etats-Unis en 2014. Dans de telles circonstances, comment veut-on que la Chine ne prenne pas l’initiative de créer de nouvelles institutions financières internationales, et se contente de rester les bras croisés dans les institutions financières internationales existantes ? Etant donnés les résultats de construction des infrastructures en Chine depuis ces dernières années (9 des 12 plus grands ponts du monde, le plus long kilomètrage de lignes de TGV du monde, etc), et son énorme réserve de devises étrangères (à peu près 4 000 milliards de dollars), la Chine est capable de répandre ses capacités de construction d’infrastructures en dehors de son territoire. La création de cette nouvelle banque asiatique serait propice pour le renouvellement de la Route de la soie, une autre initiative chinoise qui suscite beaucoup d’intérêt aussi bien en Asie qu’en Europe.
Cela dit, l’opinion publique internationale est très surprise de constater qu’en dépit de l’avertissement américain de ne pas partager l’initiative chinoise, de nombreux pays européens ont voulu faire leur demande d’adhésion avant la date limite de fin mars 2015, afin de participer à la création de la banque en tant que membres fondateurs. En effet, ces pays européens sont des puissances financières traditionnelles et ils ne veulent pas rater la croissance asiatique. En participant à la Banque d’investissement dans les infrastructures, les pays européens peuvent non seulement obtenir des gains financiers, mais aussi avoir accès au marché énorme de construction d’infrastructures. D’ailleurs, la participation des pays européens a donné plus de crédibilité à cette nouvelle banque, qui pourrait faire baisser le coût de son financement, si elle voulait lancer des emprunts sur le marché des capitaux internationaux. C’est donc un jeu gagnant-gagnant.
Même si la Chine ne prétend pas vouloir concurrencer le système de Bretton Woods en créant cette Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, certains commentateurs ont signalé que cette nouvelle banque donnerait un effet Silure dans l’actuel système financier international, en forçant d’autres « poissons » , telles la Banque mondiale, les banques de développement régionales, etc, à devenir plus compétitives et plus efficaces, ce qui serait d’ailleurs une bonne chose pour la gouvernance globale.
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« Tīng qí yán ér guān qí xíng »
On juge les gens à ce qu’ils font, pas à ce qu’ils disent (Confucius)
* Ding Yifan est chercheur au Centre de Recherche sur le Développement du Gouvernement chinois.