(Texte rédigé en octobre 2015 à l’intention des candidats à l’élection présidentielle de 2017)
Depuis vingt-cinq ans, la politique de défense et de sécurité de la France court toujours, d’ajustements en remaniements, après son adéquation à un environnement conflictuel complexe et fluctuant. Faute de projet politique et de vision stratégique, les finalités du système de sécurité comme les missions de l’appareil militaire restent mal définies, soumises à de fortes contraintes externes (ressources humaines et financières), orientées par des présupposés dépassés (préjugés, menaces…). L’absence d’un organisme d’analyse et de réflexion stratégique auprès du Président de la République ne permet pas au chef des Armées de disposer d’une appréciation de situation exhaustive ainsi que des éléments d’orientation, voire de redéfinition, de la politique de défense et de sécurité. Confier tous les dix ans à une Commission du Livre blanc le soin de l’éclairer en la matière paraît singulièrement insuffisant et en tout cas inadéquat au regard des enjeux. La situation de non-guerre (ou de crise) dans laquelle se trouve le monde depuis la fin de la guerre froide, en l’absence de menace ostentatoire – à l’exception de celle du terrorisme, inappréciable par définition – oblige à identifier les risques qui pèsent sur notre environnement et les vulnérabilités de nos modes de fonctionnement. Ce nouveau paysage stratégique, complexe et peu conventionnel, devrait nous conduire, ne serait-ce que par précaution, à passer d’une posture de défense à un système de sécurité. Parmi les multiples volets de ce dernier, celui concernant la sécurité du territoire et la protection des populations (Ordonnance du 7 janvier 1959) devrait retenir l’essentiel de notre attention ; en s’assurant toutefois que cette préoccupation territoriale ne consiste pas en un « repli hexagonal » systématique mais à une vision élargie de la sécurité à l’ensemble du continent européen et, au-delà, à ses périphéries.
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La Constitution de la Ve République donne au Président des pouvoirs exceptionnels, notamment dans le domaine de la défense et de la sécurité, où ses prérogatives couvrent tout le spectre des responsabilités politiques, stratégiques et techniques. Cette loi fondamentale était taillée sur mesure par et pour le Général de Gaulle dont la vision politique et la conception stratégique en faisaient un homme d’Etat « hors du commun ». C’est ainsi qu’en pleine guerre froide entre les deux Super-Grands, alors que l’hémisphère nord se divisait en deux blocs, il a fait le pari raisonnable de « l’indépendance nationale » et conçu une stratégie de dissuasion autonome – fondée sur la possession d’armes nucléaires – qui en permettait l’exercice.
Tant que cette situation bipolaire perdura, les successeurs du Général à la tête de l’Etat n’eurent de cesse de sanctuariser cette stratégie et de maintenir en état les capacités des composantes nucléaires ainsi que leur environnement opérationnel. Un Livre blanc, rédigé en 1971 par une équipe de quatre experts militaires dirigée par Hugues de l’Estoile, contribua à vulgariser et à diffuser largement cette doctrine dans l’opinion.
Une seule modification importante eut lieu en 1984 avec la création de la FAR – Force d’action rapide – préconisée par le Général Fricaud-Chagnaud et adoptée par le ministre Charles Hernu. En effet, en bloquant la conflictualité dans les zones d’action des deux Grands, la guerre froide favorisait le développement de conflits dits périphériques, notamment en Afrique, où le dispositif d’intervention « Guépard », à base de compagnies tournantes, était devenu insuffisant pour obtenir des effets opérationnels décisifs. En accaparant deux divisions (11e DP et 9e DIMa), un régiment d’hélicoptères ainsi que des appuis maritimes et aériens, la FAR constitua la matrice d’une « force de projection ».
La chute du mur de Berlin, entraînant la dissolution du bloc communiste et la disparition de l’Union soviétique, mit fin à la guerre froide stricto sensu, rompant l’équilibre conflictuel qui avait permis à la France de faire valoir la stratégie originale « du faible au fort ». Malgré la première guerre du Golfe et l’emploi de forces conventionnelles dans un conflit qui ne l’était pas en ex-Yougoslavie, les circonstances géopolitiques et stratégiques des années 1990 étaient très différentes de celles qui prévalaient dans les années 1960, celles de la crise de Cuba, sans que l’on sut d’ailleurs très bien en quoi elles avaient changé. Seul, Pierre Joxe, ministre de la Défense, s’inquiétait de ce « flou stratégique » et mit l’accent sur le développement de nos moyens de renseignement, jusqu’alors presqu’entièrement tournés vers l’Est. Mais, dans les rares Conseils de défense convoqués par le Président dans les trois années 1991, 1992, 1993, l’ordre du jour se cantonnait strictement à l’étude de la LPM, dont les ambitions financières étaient d’année en année revues à la baisse, au nom des « dividendes de la paix ». Seule modification importante, la décision de supprimer la brigade de missiles Hadès fut prise en Conseil, sans débat préalable ni contreparties et sans l’accord du ministre de la Défense.
Un Livre blanc illégitime
En arrivant à Matignon, le Premier ministre de « cohabitation » Edouard Balladur, sans doute bien conseillé, se rendit compte de l’inadéquation manifeste entre la situation internationale et conflictuelle et l’appareil de défense français, que provoquait la disparition de la menace principale. Il commanda une étude au SGDN et décida en mai 1993 la constitution d’une commission, présidée par le vice-Président du Conseil d’Etat Marceau Long, chargée de rédiger un nouveau Livre blanc avant la fin de l’année 1993. Cette Commission, organisée en sept sous-commissions regroupant une centaine de membres d’horizons divers, se réunit dès le mois de juin et commença d’étudier les transformations géostratégiques en cours ou potentielles et d’inventorier les changements qui permettraient à notre système de défense de trouver une nouvelle pertinence. La clé de réflexion avait été fournie par le Directeur Général de la Gendarmerie nationale – Jean-Pierre Dintilhac – qui, au cours d’une intervention magistrale, avait déclaré que « si le temps de guerre (froide) exigeait une posture de défense, le temps de non-guerre ou de paix nécessitait de mettre en œuvre un système de sécurité ».
L’élan de cette commission de réflexion fut stoppé net début juillet 1993 par une intervention appuyée du chef d’état-major du Président – Général Christian Quesnot – rappelant les prérogatives constitutionnelles du chef de l’Etat en matière politico-stratégique et déclarant que le Président n’était pas opposé à la rédaction d’un nouveau Livre blanc à la condition expresse qu’on n’y change rien d’essentiel de ce qui constituait la doctrine stratégique française. Autrement dit, une commission, aussi bien composée fut-elle, n’avait aucune légitimité pour élaborer la doctrine stratégique de la France, cette responsabilité demeurant une prérogative du chef de l’Etat – et il avait constitutionnellement raison ; si celui-ci ne pressentait pas la nécessité du changement, le statu quo s’imposait – et il avait stratégiquement tort.
La Commission, ainsi déshabillée de sa vocation novatrice, se réunit finalement en séance plénière en septembre 1993 et adopta sans débat un texte mis en forme par Jean-Claude Mallet et Marc Guillaume. Habilement rédigé, ce texte œcuménique rassurait les politiques et satisfaisait les militaires qui y voyaient confirmation de leurs structures et une extension de leur champ d’action, due à la multiplication de « scénarios » qui couvraient la plus grande partie du spectre de la conflictualité, à l’exception notable du phénomène terroriste.
Ce Livre blanc mort-né ne réglait en rien la question essentielle de l’adéquation du système de défense français à son environnement géostratégique, mais il continuait de le légitimer sur une évaluation de menaces obsolètes ou indéfinies, et de l’articuler en fonction de scénarios imaginaires et peu crédibles : en plus de vingt ans, aucun de ceux-ci n’aura prouvé sa pertinence, alors que les forces françaises sont intervenues continument durant cette période.
En réalité, la cohabitation nous a entraînés dans une évaluation de situation qui, n’ayant pas la caution du chef de l’Etat, ne pouvait déboucher que sur un mauvais compromis et, pour les Armées, sur un malentendu. Celles-ci crurent alors détenir un viatique fondateur pour les vingt années à venir, alors que le Président Mitterrand pas plus que ses successeurs ne se sentait engagé en quoi que ce soit par ce document.
Nécessité d’un « Conseil National Stratégique »
On comprend très bien que tous les Présidents n’aient pas, en matière de défense et de sécurité, la vision et l’expérience du Général de Gaulle, et qu’ils n’aient ni le goût ni la compétence pour élaborer eux-mêmes le noyau politico-stratégique autour duquel ils décideront d’organiser la politique de défense et de sécurité et les concepts stratégiques de sa mise en œuvre. Ce qui n’était pas nécessaire pour le Général de Gaulle est devenu indispensable aujourd’hui, ne serait-ce qu’en raison de la complexité des problèmes géostratégiques et de leur interférence permanente avec des données techniques en évolution constante.
Le chef de l’Etat a besoin de disposer d’un organisme de « conseil stratégique », à même de lui fournir en permanence des appréciations de situation, des hypothèses d’évolution ainsi que des possibilités d’action. Son état-major particulier n’est pas en mesure de faire ce travail, sauf à modifier ses missions et à transformer son organisation ; les ministères intéressés disposent de cellules d’évaluation (CAP au MAE, DAS à MINDEF) à leur niveau. Seul, le SGDSN, sous la tutelle de Matignon, entretient des équipes d’experts civils et militaires dans de nombreux domaines techniques qui concernent la sécurité. La transformation du SGDSN en Conseil National Stratégique (CNS) et son rattachement à la Présidence de la République permettraient au chef de l’Etat de disposer de l’outil stratégique dont il a besoin pour définir et mettre en œuvre « sa » politique de défense et de sécurité. Pour pouvoir remplir sa mission, ce CNS devrait comporter un « centre de réflexion stratégique » animé par les meilleurs experts dans leur domaine de compétence qui, au lieu de s’agiter dans de vains débats sur les chaînes de télévision, pourraient alimenter utilement la réflexion présidentielle.
Quant à la notion de Livre blanc, si elle doit se perpétuer, celui-ci devrait voir son rôle circonscrit comme objet pédagogique et d’information. Comme Commission constitutive du système français de défense et de sécurité, celle-ci n’a pas lieu d’être ni d’après la Constitution ni d’après ses compétences. Le rassemblement pendant quelques mois des principaux responsables du système ne peut aboutir qu’à des propositions marginales ou limitées ; on ne voit pas que les chefs militaires notamment aillent de gaîté de cœur scier la branche sur laquelle ils sont assis et bouleverser l’appareil dont ils ont la charge.
L’appréciation de situation
Dans tout processus d’élaboration d’un système de défense, l’évaluation de la menace est prioritaire ; le renseignement sur l’ennemi conditionne la suite de l’étude ; on enseigne cela dans toute école militaire et bien avant l’Ecole de Guerre. Cette évaluation se fait en temps de guerre par la désignation de l’ennemi. Lorsque sonne la fin des hostilités, la menace disparaît en même temps que l’ennemi change de statut. Mais le temps nouveau, tel que nous le connaissons depuis vingt ans, ne ressemble pas nécessairement à la paix et peut recéler un potentiel élevé de risques pour la sécurité des pays et des sociétés. Hormis quelques épisodes guerriers manifestes mais circonscrits (Irak, Afghanistan, Mali notamment), le temps que nous vivons est une période de conflictualité larvée et d’insécurité. Rien ni personne ne « menace » directement la paix, mais dans plusieurs régions du monde des situations politiques, sociales, économiques font peser des risques importants de déséquilibres et créent ainsi des facteurs d’insécurité. La menace par définition est simple, car visible, revendiquée, manifeste. Le risque est potentiel, dilué, sous-jacent. C’est pourquoi il est tentant d’en revenir toujours à la désignation de l’ennemi (Carl Schmidt), plus facile à appréhender et contre lequel il est plus aisé d’organiser la défense, ce que cherchent à réincarner tous les fondamentalistes du monde. Le problème de notre époque réside principalement dans l’absence de menace évidente et dans la montée tous azimuts de risques conflictuels.
Ce n’est donc plus par l’évaluation de la menace « militaire » qu’il faut entreprendre le processus d’analyse mais bien par l’appréciation de situation. Celle-ci est une opération complexe qui suppose de prendre en compte tous les éléments – politiques, économiques, idéologiques, sociaux, démographiques, techniques, etc. – qui concourent à constituer la situation et à créer la réalité, ce que le Général de Gaulle appelait les « circonstances ». L’appréciation de situation permet de mettre en lumière et de hiérarchiser les risques dans les divers domaines d’étude, sans exclure la résurgence d’une éventuelle menace ; elle permet surtout de révéler les liens de cause à effet entre plusieurs phénomènes : les commentateurs des « printemps arabes » ont tous salué des progrès de la démocratie dans le monde arabe sans envisager les effets en cascade qui ont conduit aux répressions, aux radicalisations islamistes, aux guerres civiles et religieuses, aux exodes de population et à leurs conséquences dans les pays européens. Les risques, lorsqu’ils sont insuffisamment étudiés et pris en compte, peuvent muter et reconstituer une menace qui n’aura pas été étudiée à temps et contre laquelle des appareils militaires inadaptés ne pourront pas faire grand-chose. Nous sommes aujourd’hui entrés dans ce cycle vicieux.
Comme on ne peut imaginer toutes les situations possibles et leurs divagations « hors zone », il est indispensable de parer à toute éventualité en organisant un « dispositif » de sécurité aussi ample et souple que le permettent les moyens matériels et les conditions politiques et qui englobe l’appareil de défense existant.
On peut retenir quatre risques majeurs : primo le risque terroriste et ses effets sur la sécurité du territoire et la protection des populations ; secundo l’effervescence du monde et ses effets sur la sécurité maritime ; tertio les intrusions électroniques et leurs effet sur la sécurité économique et technologique ; quarto les risques de déstabilisation de nos partenaires ou de remise en cause de nos intérêts dans le monde. Par certains de leurs aspects, ces risques peuvent porter atteinte à la souveraineté et aux intérêts vitaux de la France ; ils concernent donc notre appareil militaire.
Propositions
Sécurité du territoire
La suspension du service national en 1996 par le Président Chirac a privé les Armées de ressources humaines nombreuses ; elles ont été ainsi conduites (et aussi pour des raisons d’économie d’échelle) à réduire la voilure sur le territoire et à quitter de nombreuses garnisons. Cette décision a une double conséquence : le « rôle social » de l’armée s’est singulièrement rétréci, la présence militaire sur le territoire n’est plus assurée. Cela devient caricatural quand un dépôt de munitions – non gardienné – est dévalisé en région PACA par des malfrats, l’armée contribuant ainsi indirectement, par sa négligence (ou son manque de moyens), à renforcer l’insécurité dans le pays.
La première chose à faire serait de rendre aux Armées la capacité d’assurer leur propre sécurité et celle de toutes leurs installations ; il est quand même surprenant de voir le site de l’Ecole militaire à Paris gardé par des vigiles civils. Dans les conditions actuelles, la création d’une « police militaire » devrait s’imposer, qui aurait cette mission de gardiennage et de sécurité, laquelle pourrait s’étendre aux dispositifs Vigipirate et Sentinelle. Partie prenante de l’armée professionnelle, mais sans faire peser en totalité cette mission (dévoreuse d’effectifs) sur ses forces suffisamment sollicitées par ailleurs, cette police militaire serait un élément majeur des « forces du territoire ».
La reconstitution de forces du territoire, sous le vocable ancien de DOT, de Garde nationale ou avec une appellation plus moderne, serait une réponse adaptée au problème de sécurité des installations et de vigilance de type Sentinelle. Mais elle serait aussi en mesure de rendre aux Armées leur fonction sociale en incorporant à travers un Service Militaire Volontaire (SMV) de six mois environ 100 000 jeunes Français. L’organisation de ce SMV dans une vingtaine de centres répartis sur le territoire permettrait d’incorporer une partie des jeunes d’une classe d’âge en déshérence, en leur garantissant une formation professionnelle de six mois et en leur donnant une priorité à l’embauche dans certains emplois publics. Elle permettrait également, après une période initiale de formation élémentaire de deux mois, aux pouvoirs publics de disposer en nombre suffisant (15 à 20 000 personnes en permanence) d’unités de surveillance – Sentinelle -, d’assistance à la sécurité en cas d’événements graves, de catastrophes climatiques ou autres besoins en aide et en secours.
Pour l’encadrement de ces unités, les Armées sont en mesure de le fournir en grande partie, à base de cadres en fin de contrat opérationnel ou soucieux d’une forme de service plus sédentaire, et de MDR déjà expérimentés mais qui ne souhaitent pas poursuivre leur carrière dans les troupes de métier. A l’inverse, ce serait un vivier où les Armées (et la Gendarmerie) pourraient trouver une bonne partie de leurs besoins annuels de recrutement. Ces forces, associées aux unités de Sécurité civile, à celles du SMA, voire aux sapeurs-pompiers, contribueraient à repeupler le « désert militaire » que représente aujourd’hui le territoire national. Le financement d’un tel dispositif ne devrait pas grever le budget des Armées, mais provenir des budgets sociaux et des ressources locales.
S’agissant de la sécurité des installations dites sensibles, les forces du territoire seraient déployées, le cas échéant, en deuxième échelon, en suppléance de la Gendarmerie nationale. Elles devraient permettre à l’Etat de reprendre la main et ses fonctions régaliennes dans ce domaine, reléguant à leur fonction de sécurité à l’intérieur des entreprises les « Sociétés de sécurité privées » dont l’extension du champ devient excessive.
Sécurité maritime
Dans une période d’effervescence mondiale où les flux commerciaux croissent de 5 % par an, d’augmentation de la piraterie maritime notamment dans l’océan Indien, la sécurité maritime est devenue une priorité pour tout pays qui prétendrait à une influence mondiale. A cet égard, la France, puissance maritime de premier plan au regard de ses façades sur trois mers et océan comme en raison de ses zones de responsabilité outremer, ne dispose pas des moyens maritimes correspondant à son rang. Outre ses SNLE, un porte-avions, quelques frégates et sous-marins, trois Mistral et autres bâtiments logistiques, sont insuffisants d’une part, à assurer la sécurité des approches territoriales pour lesquelles il faudrait une flotte côtière consistante, d’autre part, à « montrer le pavillon » sur les divers océans avec une flotte dite de « haute mer ». La double caractéristique stratégique de l’époque – mondialisation et insécurité – devrait nous inciter à jouer du levier « Marine nationale » pour assurer nos positions en Europe et dans le monde. Sur le plan international, la Marine revêt autant d’importance en temps de crise que la dissuasion nucléaire en temps de guerre. La Chine l’a bien compris qui exploite ce gisement de force pour asseoir son rang de puissance mondiale.
Sécurité cybernétique et « arme » du renseignement
Sans doute l’enjeu majeur et la plus grande vulnérabilité pour un système de fonctionnement administratif, économique et technologique insouciant et mal protégé. Ce que ni les administrations ni les entreprises ne font spontanément pour se protéger des intrusions, l’Etat doit l’imposer par la loi. Un système de protection – barrière anti-intrusions – doit être élaboré et imposé par voie législative non seulement pour éviter de se faire piller par les « hackers » mais surtout pour assurer la continuité du service public – fourniture d’électricité en particulier dont l’arrêt provoqué mettrait en panne le fonctionnement de la société dans son ensemble. Sur ce sujet, notre retard est considérable et il faudra lui consacrer d’urgence des moyens importants.
La sécurité cybernétique passe par le développement et la modernisation des services de renseignement. A l’ère de l’information, le renseignement est la clé de l’action stratégique. Dans l’appareil militaire, le « renseignement » devrait devenir une « arme » comme l’infanterie ou l’artillerie avec des effectifs dévoués et dotée de toute la gamme des moyens techniques les plus récents (satellites, drones, « grandes oreilles », etc.). La coopération internationale ne peut se faire dans ce domaine qu’entre « égaux » ; il est donc crucial de s’élever au rang des meilleurs en la matière.
Sécurité internationale
L’armée française est aujourd’hui une armée de projection, entièrement tournée vers ses missions extérieures. En raison des réductions successives de format depuis vingt ans, elle s’essouffle au rythme frénétique des interventions et atteint rapidement ses limites à un niveau assez modeste. L’histoire du Second Empire nous apprend que ce « tout ou rien » est dangereux et qu’il permet difficilement une réorientation des forces. C’est le principal argument pour la montée en puissance de « forces du territoire » dissociées des « forces d’intervention » et qui devraient prendre leur part entière dans les missions de sécurité. Un soldat n’est pas polyvalent et ne peut faire bien tous les métiers à la fois. A supposer qu’on le décharge en partie des missions territoriales et de surveillance, le modèle actuel du « corps de bataille » paraît convenable. Il faudrait néanmoins le doter d’une capacité de remontée en puissance en cas de besoin, notamment en réétudiant – enfin sérieusement – la fonction des « réserves ».
Sécurité européenne
Le thème de la « défense européenne » défraye la chronique depuis une quarantaine d’années. Beaucoup d’énergie a été dépensée, des structures ont été mises en place à grands frais, une brigade franco-allemande a été constituée, etc. Le résultat est plus que décevant, proche de zéro. En réalité il n’y a, parmi les Etats membres de l’Union européenne, aucune volonté politique de faire avancer un projet de défense commun, jugé inutile par certains, trop coûteux par tous. Les choses et l’Europe étant ce qu’elles sont, il n’y a à terme raisonnable aucune chance de voir aboutir un tel projet. Sauf s’il est financièrement bénéfique et budgétairement nul pour les Etats.
C’est pourquoi au lieu de poursuivre la construction d’une « usine à gaz » sans efficacité, il est proposé de dissoudre toutes les instances soi-disant opérationnelles européennes et de les remplacer par une seule « agence d’armement et de logistique » chargée, au nom de l’Union européenne, d’acheter sur étagère les matériels d’armement et de logistique d’usage courant pour les « prêter » aux pays engagés dans des opérations extérieures. L’avion de transport A400M, par exemple, pourrait être directement financé par le budget européen, puis regroupé en « pool » sur plusieurs bases certifiées sur lesquelles les diverses aviations des pays européens iraient « se servir ». On peut imaginer d’en faire de même pour des bâtiments logistiques de la Marine, pour les moyens de transport ou du Génie de l’armée de Terre. Pour celle-ci, le remplacement inéluctable du « char de bataille » lourd et à chenilles ne pourra être envisagé que si l’étude, le financement et la production de « l’engin de combat » du XXIe siècle sont assurés et pris en charge par un budget commun. Pour un pays comme la France, le soulagement budgétaire pourrait se monter à plusieurs milliards qui seraient alors utilisés sur les autres chantiers décrits ci-dessus. L’obstacle majeur consiste dans l’acceptation par les Vingt-huit de constituer une ligne ad hoc dans le budget européen (3 à 4 milliards d’euros).
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La réorientation stratégique, trop longtemps retardée faute de vision et de volonté, doit absolument être engagée. Nous risquons d’y être contraints sous la pression des circonstances et donc dans la pire des situations. La naïveté et le laxisme qui ont prévalu ces dernières années doivent faire place à la lucidité et à la détermination.
Eric de La Maisonneuve – octobre 2015