Le monde change. Changeons et évoluons positivement.
Jean-Claude FÉLIX-TCHICAYA, Sociologue, Consultant en Géostratégie
Nous sommes à un moment charnière de notre Histoire nationale et supranationale où l’on peut voir le monde de façon inquiétante pour ce qu’il a de déstabilisant, de tragique, de dramatique, mais aussi de façon exaltante quant aux bouleversements actuels. Pour toutes les générations vivantes aujourd’hui, nous vivons dans un monde 2.0.
En effet, la puissance du numérique nous fait aller plus loin, plus vite, plus fort, aussi bien sur le plan positif et constructif que sur celui de la discorde, des ambiances délétères multiformes, de l’esprit belliciste, velléitaire, des dérives sectaires et terroristes qui affirment leurs puissances destructrices et idéologiques.
Nouvelles forces économiques en présence, vision économique 2.0
Sur le plan économique, la mobilité des hommes et des marchandises permet aux entreprises multinationales et internationales d’ouvrir les champs de compétences, de multiplier les parcours et les expériences, d’accélérer les synergies, de changer les façons de travailler, de pousser à davantage de créativité, d’inter-culturalité, d’inter-disciplinarité, de multi-linguisme, d’excellence et d’élitisme.
Tout cela n’est pas sans effets et conséquences en termes de géostratégie et de géo-économie, d’intelligence économique et politique. Voilà ce qui bouscule tous les prismes et paradigmes du XXIe siècle et ceux qui lui sont antérieurs. C’est pour cela que les idéologies patinent et n’arrivent plus à convaincre les citoyens partout dans le monde, peu ou prou, car elles se recroquevillent sur des conservatismes qu’elles pensaient immuables, mais dont les socles vacillent malgré eux. Cela entraîne aussi certains responsables à avoir une vision empreinte de certitudes égotiques, que l’on parle de régimes autoritaires ou de démocraties.
La nouvelle donne mondiale sera géostratégique si les transitions et mutations présentes et à venir sont pensées à l’aune des enjeux d’aujourd’hui avec les concepts du présent, ayant la force de l’anticipation et une puissance prospective.
La bataille et le creusement des inégalités un peu partout sont un des principaux facteurs de déstabilisation dans le monde et s’accompagnent ou se doublent de crises et de doutes identitaires, de formes de radicalités – religieuses ou non, d’oubli ou de mise à l’écart de la question raciale (sous-traitée dans le monde), des inégalités homme-femme, des crises sociales souvent meurtrières, de changements climatiques augmentant les migrations tous azimuts.
Tout cela a été généré par des décisions politiques, mais aussi par l’émergence de crispations et radicalisations dans les sociétés civiles.
La réalité du numérique
En 20 ans, le numérique et les nouvelles technologies ont achevé de bouleverser le monde économique, les rapports sociaux et l’environnement dans lequel nous vivons. La population mondiale est connectée à 40 % avec des disparités importantes sur la planète, les Etats-Unis et l’Europe ayant 80 % de personnes connectées, l’Amérique Latine 50 %, l’Asie 40 % et l’Afrique moins de 30 %.
Où qu’il soit, un être humain peut potentiellement avoir accès à une multitude d’images et d’informations, qu’elles soient vraies ou non ; un nombre quasi illimité de correspondants avec qui il va se trouver des points communs ; sans compter un accès à une infinité de produits.
La place du numérique a donc des répercussions sur notre façon de consommer, de vivre, de nous appréhender (dans la famille, au travail, au niveau des classes sociales, de l’identité).
D’autre part, les échecs et les réussites des modèles économiques vont de plus en plus vite, nous boostent ou nous déstabilisent. Sur le plan de la finance internationale, le numérique a joué un rôle d’accélérateur des échanges sur les marchés financiers, entraînant avec lui à la fois croissance économique mais également bulles spéculatives et dérives de certains acteurs du marché. Une entreprise peut ainsi quintupler sa taille en quelques mois, mais s’écrouler tout aussi vite, entraînant dans son sillage des centaines de micro-entreprises basées sur les cinq continents et qui s’étaient greffées à elle.
Les diplomaties internationales et économiques jouent donc un rôle grandissant en termes de perspectives et d’intelligences géopolitiques, en phase avec le XXIe siècle quant aux potentialités et risques à réduire ou annihiler. Cette intelligence faite de liens nouveaux entre États, renforce les questions de sûreté, qui ne sont plus déconnectables, mais liées au risque mondialisé, notamment sur le plan de la montée des radicalisme criminels.
Tous les instituts de prospective, de recherches ou de sûreté, tout comme les structures de haut niveau, sont devenus incontournables pour accompagner les États, les institutions, le monde universitaire, le monde de l’éducation, les citoyens, les associations et leur mise en relation effective avec des programmes communs et spécifiques. Ces synergies sont aujourd’hui indispensables et elles se doivent d’être corsetées de visions nouvelles, de rapports renouvelés, visibles et invisibles.
Tout cela constitue le nouveau monde, la nouvelle ère, le monde 2.0 – ou comment passer d’un monde en convulsion à un monde en transition pensé et maîtrisé.
Les effets pervers de l’accélération
Les bouleversements déjà énoncés entraînent dans leur sillage d’autres changements et d’autres doutes, tels que les crises et doutes identitaires, la montée des religiosités radicales, la volonté de domination sectaire et identitaire.
Des puissances, dans tous les champs de la société mondiale, auront peur de perdre leurs privilèges. Les résistances au changement seront nombreuses et certains seront devant des contradictions intenables, mais aussi devant des responsabilités à affirmer et à ré-affirmer. Les conservatismes politiques et religieux dans leur ensemble ne souhaitent pas que les lignes bougent car c’est ce qui leur permet d’asseoir leur pouvoir. Cela occasionnera des batailles philosophiques, au mieux. Un mur qui tombe peut se transformer en pont. Mais il doit être armé de visions nouvelles, de droits fondamentaux effectifs, patents, dans le quotidien du plus grand nombre. Si ce pont n’est pas armé par les institutions, ils serviront ou seront forcés par des idéologies destructrices, des velléités séparatistes, des débordements de tous ordres.
C’est pour cela que les migrations doivent être contenues, non pas pour réduire la mobilité, mais pour que celle-ci soit viable et que le pays de départ ne génère pas ces départs de plus en plus tragiques pour des causes d’urgences économiques, sociales, climatiques et politiques.
Ces personnes sont-elles des expatriés économiques forcés ou des migrants perçus comme des appendices dans les sociétés où ils arrivent ? Le mot migrant tend à désocialiser celui qui arrive. De ce fait, une véritable politique de mondialisation et de mobilité internationale doit surgir.
De plus, les bombes démographiques actuelles et à venir, qui vont déborder leurs propres pays, démocratiques ou non, leurs régions, doivent être regardées avec honnêteté, pour une régulation permettant la sûreté et la dignité des citoyens de ce monde.
La nécessité d’accompagner la transition
Nous ne faisons preuve ni de cécité, ni de candeur, mais tout cela nous mobilise car nous sommes conscients que ce nouveau monde 2.0 se dirigera soit vers un contrat social, économique et démocratique, soit vers un affaissement en termes de civilisation. Nous rentrerons alors dans des temps de barbarie. Il est exaltant de combattre ces risques et ces idéologies destructrices ou/et terroristes par l’intermédiaire de méthodes opératoires de transition.
Afin d’accompagner cette transition, nous aurons besoin d’organismes internationaux sans cesse renouvelés et moins figés que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Nos solutions et plans d’action ne sont plus pérennes sur des durées 15 ou 20 ans mais auront des cycles beaucoup plus courts.
Les peurs gagnent du terrain. Il nous faut dès à présent préparer les citoyens au changement dans tous les champs de la vie quotidienne. Mais aussi – et surtout – comprendre et anticiper les changements en cours et à venir. Ré-inventer une partie de nos liens et une partie de nos représentations.
Il nous faut enfin préparer toutes les générations – et notamment les générations futures, souvent en proie aux prédateurs idéologiques en tous genre, afin qu’elles aient un esprit de mobilité et de prospectives nouvelles et qu’elles en soient les auteurs et les acteurs.