Dans son discours à l’Assemblée Générale des Nations unies le 24 septembre 2013, le Président iranien nouvellement élu Hassan Rouhani a dit des choses essentielles pour améliorer les relations entre les nations du monde. Invitant à instaurer la modération dans les revendications des états, il a suggéré de supprimer « l’option militaire est sur la table » et d’adopter l’attitude « la paix est toujours possible », proposant enfin la formule : « Le monde contre la violence et l’extrémisme ».
Le monde, a-t-il dit, n’est plus le résultat d’un équilibre entre deux blocs, ni dominé par une seule puissance mais désormais multipolarisé et tous les Etats dont la base du pouvoir est dépendante des urnes ont droit au même respect de leurs particularismes et de leurs intérêts légitimes. Aucune culture n’est supérieure aux autres et ne doit chercher à s’imposer.
Ce programme, frappé au coin du bon sens, ne semble pas être appliqué puisque des conflits incessants éclatent partout, notamment au Moyen-Orient, provoquant des drames horribles perpétrés par des fanatiques, attisés par les puissances majeures qui cherchent à atteindre ainsi des objectifs stratégiques en entretenant des crises régionales, puisque l’arme nucléaire empêche les affrontements directs.
Ainsi en est-il des combats menés par l’Etat Islamique (EI) contre lequel les Etats-Unis ont constitué une coalition internationale, alors qu’on sait bien qu’ils sont, avec leurs alliés arabes et turcs, les responsables de la création de cette engeance de terrorisme islamique.
Si des frappes aériennes sont utiles pour vaincre l’EI, tous les experts militaires savent que seules des troupes au sol seront en mesure d’éradiquer ces extrémistes, bien armés et entraînés grâce aux multiples complicités dont ils ont bénéficié, en particulier des services occidentaux, troupes qui ne peuvent être que celles des pays sur le territoire desquels ils exercent leurs méfaits et qu’il est urgent de soutenir dans cette lutte. La créature ayant échappé à son créateur, la coalition annonce que tel est son but – acceptons-en l’augure -, mais comme l’a dit le Président Bachar el Assad lors d’une rencontre avec un haut responsable iranien : « ce ne sont pas les Etats qui ont créé le terrorisme qui peuvent le mieux lutter contre lui ». On a noté les réticences de la Turquie à rejoindre la coalition puisqu’elle tire profit des conquêtes de l’EI contre les Kurdes.
Les alliances conjoncturelles dont a bénéficié l’EI, avec les baasistes et les anciens militaires de Saddam qui sont entrés en résistance lors de l’invasion américaine de 2003, avec les tribus sunnites mécontentes de leur sort dans l’Irak de Maliki, se déferont dès lors que les intérêts de toutes les composantes de la société irakienne seront reconnus par le gouvernement. Il semble que le nouveau Premier Ministre Haïdar al Abadi s’efforce de constituer un consensus national dans ce but, envisageant d’attibuer des postes de responsabilité à certains baasistes et aux différentes minorités qui composent la mosaïque irakienne. Car, comme l’avait dit le Président Poutine dans une réunion internationale à Munich en 2007, la démocratie ne consiste pas à la négation des revendications légitimes de minorités, mais au contraire à leur prise en compte par une majorité éclairée.
Mais l’Irak et la Syrie, une fois débarrassés de cette plaie, espérons-le, que deviendront tous ces combattants perdus enrôlés à grands renforts de propagande et de dollars ? Ils essaimeront vers des pays où ils pourront chercher à poursuivre leur œuvre de mort : pour certains, les pays d’Asie Centrale comme l’Afghanistan ; d’autres retourneront dans leurs pays d’origine pour y commettre des attentats, comme les milliers d’entre eux venus des pays européens. A cet égard, la Syrie qui subit depuis plus de trois ans les assauts de ces hordes barbares doit aussi être aidée dans sa lutte et, au lieu de prôner l’absurde soutien à des « islamistes modérés » qui n’existent pas sur le terrain et qu’on essaie de former dans des camps en Jordanie ou ailleurs, nous devons reconnaître que sa connaissance de la mouvance islamiste nous est indispensable et qu’une franche coopération pour lutter contre elle doit enfin être renouée. Il faut cesser de parler de dictature en faisant l’amalgame, toujours porteur de mensonges, avec le régime précédent qui avait l’immense avantage de barrer la route aux islamistes et avec lequel tous les Etats parlaient. La nouvelle Constitution votée au cœur de la crise en 2012 par les Syriens est totalement démocratique, préservant les libertés fondamentales, et le gouvernement, en même temps qu’il combat les fanatiques djihadistes, s’efforce de réconcilier toutes les tendances modérées de la nation, avec succès puisque de nombreux opposants soutiennent désormais le gouvernement légal, conscients qu’il est le seul rempart contre les terroristes. D’ailleurs, s’allier à des pays aux mœurs politiques et religieuses rétrogrades comme l’Arabie Séoudite et le Qatar, où les urnes n’existent pas, pour prôner la démocratie à travers le monde est un autre des paradoxes de notre époque qui s’apparente à l’absurde.
Il faut donc suivre les préceptes de sagesse indiqués par le Président Rouhani aux Nations unies pour bâtir un monde plus raisonnable dans lequel les puissances règleront leurs conflits d’intérêts par le dialogue et la modération des exigences, plutôt que par la guerre. C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu, car les hommes ont désormais une puissance qui leur permet de faire exploser notre planète par un coup de folie. La dissuasion a fonctionné jusqu’à maintenant, nous préservant d’un cataclysme, l’équilibre de la terreur retenant jusqu’ici celui qui aurait eu envie de détruire son ennemi en lançant une salve nucléaire parce qu’il savait qu’il serait anéanti au même moment par la représaille automatique, mais on sent bien que certains bellicistes veulent nous persuader que les Etats-Unis possèdent un bouclier anti-missiles qui les protège de frappes nucléaires en retour, rendant leur suprématie militaire à nouveau totale et annihilant le concept de dissuasion. Ceci est évidemment faux puisqu’aucun bouclier ou « dôme de fer » n’est entièrement étanche et ne le sera pas à moyenne échéance.
Les peuples du monde, quelles que soient leurs richesses économiques ou culturelles, doivent être égaux en droit. Aucune culture ne peut s’attribuer la prééminence et se croire le phare du monde. La liberté dont la statue éclaire le monde à l’entrée de la baie d’Hudson est l’apanage de toutes les nations, sans que l’une d’entre elles puisse se prévaloir à cet égard d’une supériorité quelconque, même si elle possède momentanément une supériorité économique et militaire sur les autres.
La France ferait bien de se souvenir de son héritage intellectuel des « Lumières », et du niveau de prestige mondial où la politique du Général de Gaulle l’avait portée en refusant l’alignement sur aucun bloc,- à une époque où il était bien plus difficile que maintenant de sortir de l’OTAN -, défendant le droit des peuples à décider eux-mêmes de leur destin, prônant l’entente entre toutes les nations du globe qui l’acclamaient lors de ses nombreux tours du monde, car il connaissait les différentes cultures et proposait partout, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, de respecter les hommes avec leurs différences. C’est ce qui le guidait aussi dans sa volonté de construire une Europe de nations gardant leurs particularismes et leur souverainetés, qui devait, à ses yeux, s’ouvrir à une grande coopération avec la Russie et au-delà. Pour nous Français, qui possédons la deuxième Zone Economique Exclusive (ZEE) mondiale grâce à nos territoires ultra-marins répartis sur les cinq continents, tout doit nous pousser à avoir une politique de citoyens du monde en entretenant avec toutes les nations des rapports de respect, de confiance et de coopération.
* Alain Corvez est conseiller en stratégie internationale et membre de la Convention de la Fondation Charles de Gaulle.